Avec sa dernière réalisation le cinéaste expérimente un nouveau genre qui n’a jamais encore vraiment été formalisé au cinéma. En effet, The Trip est la version condensée d’une mini-série tournée par la BBC. Des yeux experts décèleront un montage qui laisse entrevoir la mise bout à bout de petits épisodes mais, en définitive, cela a peu d’importance et n’influera pas sur le jugement final que l’on pourra avoir sur ce film.
Winterbottom nous invite à une virée gastronomique dans le nord de l’Angleterre. Steve Cogan qui joue ici son propre rôle est un acteur anglais dont la carrière est plutôt en perte de vitesse. Il est embauché par The Observer pour chroniquer des restaurants « étoilés » dans la région du Lake District. Largué par sa petite amie au dernier moment, et comme il ne supporte pas de voyager seul, il se résout à contacter Rod Brydon, acteur et imitateur – qui lui aussi joue son propre rôle -, le seul de ses amis disponible. Les deux hommes s’engouffrent dans le 4×4 de Cogan et tracent vers les Highlands.
Mais pour peu qu’on adhère à ce tempo so british, le voyage des deux camarades s’avère jubilatoire par moments. Les conversations entre les deux hommes sont parfois troublantes car il semble bien qu’elles soient le résultat d’une semi-improvisation de la part des deux acteurs, amis dans la vie. Winterbottom joue parfaitement de cette mise en abîme pour atteindre des instants délicieux de vérité. Ainsi au début du film, lorsque Cogan sollicite en dernier recours son ami et que celui-ci interroge : « pourquoi moi ? », l’autre de répondre : « j’ai demandé autour de moi, mais personne ne peut. » ! Il y a là, deux caractères. Steve Cogan est égoïste, coureur, instable dans sa vie sentimentale, rabaissant volontiers son camarade qui lui est plus modeste, père de famille heureux, bénéficiant d’une reconnaissance professionnelle d’une certaine manière plus importante que celle de Cogan. Sous-jacente à ce feu d’artifice d’imitations, de citations littéraires (Coleridge, Wordsworth, Brontë), de plaisanteries fulgurantes, il y a la révélation d’hommes à eux-mêmes et à l’autre. Des accents plus grinçants et existentiels émergent de ces dialogues d’initiés à l’humour si particulier ; comme cette réflexion soudaine de Cogan sur la dure réalité du mitan de sa vie. Nous l’avons compris – les paysages aussi sublimes soient-ils et les repas des plus fins – tout l’intérêt de The Trip réside dans les rapports entre les deux acteurs, dans leur subtilité parfois et aussi dans leur liberté de jeu.
Et puis, il y a le cafard de la fin de virée, le retour à la case départ, singulièrement banal et cruel pour un Cogan qui retrouve sa solitude. Même si The Trip ne pourra séduire vraiment que les anglophiles éclairés, il en émane tout de même un charme, tellement identifiable au cinéma anglais, fait d’une alchimie inimitable, mêlant le drame à l’humour, les questions existentielles à la farce potache. Bref une certaine subtilité et une distance dont on ne se lassera jamais.