Second coffret ARTE DVD Black Panthers, collection « L´autre Amérique » : Primary et Crisis

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Suivre au plus près deux sénateurs (JFK et le sénateur Hubert Humphrey) en campagne. Puis transformer l´essai en filmant les ficelles du pouvoir comme rarement elles ont été filmées. Voici le but et la réussite de ce second coffret avec, toujours en point de mire, la place des Noirs dans la société américaine.

Ce que le cinéma légua à la télévision : le direct

Le documentaire Primary est un film révolutionnaire. Seule différence, l’acte de filmer n’appartient plus au combat politique, il est subordonné à la quête de pouvoir. L’utopie révolutionnaire des films The Murder of Fred Hampton et American Revolution 2 a échoué mais a accouché d’une seconde vague d’espoir, celle des politiciens impliqués dans la reconnaissance unanime d’une Amérique multicolore. En cela, filmer avec une petite caméra JFK pendant une campagne pour l’investiture démocrate a de révolutionnaire ce qui va en découler par la suite : foule de reportages télé calquant leur façon de filmer, reproduisant leur construction narrative et s’immisçant au plus près de l’homme politique pour le démythifier ou le glorifier.

 

      

Ce que le premier documentaire a de flamboyant, c’est l’exposition infinie qu’il propose de l’homme politique. Humphrey ou JFK sont filmés sous toutes les coutures, près du corps là encore. Les anecdotes pullulent en coulisses. Le revers du récit politique montre à quel point il est fastidieux et ingrat de concourir à de hautes responsabilités : les sourires, les serrages de mains… La mécanique des gestes et du langage (« Comment allez-vous ? » repris maintes et maintes fois pour récolter des fonds de la part d’Humphrey) à laquelle sont soumis les deux démocrates, questionne  l’honnêteté de leur démarche ou l’hypocrisie et la politesse (de façade ?) dont ils font preuve pour arriver à leurs fins. Cette volonté d’anonymiser le politicien a ceci d’intéressant qu’elle autorise le réalisateur, Robert Drew, à un travail poétique sur l’image : des rimes visuelles entre les plans des jambes de plusieurs personnes se rendant aux urnes pour voter, dont on ne perçoit ni l’identité ni le visage, et ces plans injectant au film un caractère très terrien. Il est question d’endurance et de fatigue, et non plus de spiritualité pure et dure dans la compréhension d’une campagne ayant, elle, pour point de mire la Maison Blanche et a fortiori, le gouvernement du monde. La seule fenêtre qui offre une vraie ouverture sur des idées et un idéal de vie s’imprime par le prisme du… petit écran, lorsque JFK fait une allocution télévisée afin de soumettre les enjeux politiques et sociologiques d’une telle campagne. C’est un des rares moments où l’anonymat n’a plus de visage puisque l’homme politique, JFK en l’occurrence, s’extirpe de la foule, de cette marée humaine pour être épinglé par l’écran de télévision. C’est aussi une rhétorique de l’image qui confirme le plus grand intérêt porté au sénateur Kennedy dans le film : il a le droit à un discours télévisé, il est montré signant des autographes, fendant triomphalement une foule conquise, hypnotisée par son charisme et son visage angélique. Le peuple se subsume en lui.

Cette exposition a aussi quelque chose d’anticipatoire et de profondément tragique, avec l’assassinat de JFK à Dallas. Une des premières séquences du film montre cet homme sur une estrade. Un dispositif qui se reproduira à chaque fois lorsqu’il prendra la parole. « L’icônisation » du personnage est déjà en marche. Lors de cette première séquence filmée, se produit un événement qui ne devrait être qu’une anecdote de plus dans un documentaire au plus près d’une campagne électorale : on lui jette des avions en papier. A priori, ce motif de l’envol n’est filmé que pour souligner l’élévation de cet homme au destin peu ordinaire. JFK se sert de ces petits avions pour commencer son discours avec un trait d’humour : Il leur demande de ne pas le faire pendant son discours, la campagne est assez périlleuse. De manière complètement inattendue, ce plan des avions en papier fait résonance avec le meurtre du sénateur démocrate saluant la foule à Dallas. Ce qui apparaissait comme une incursion burlesque au cours d’un documentaire, anticiperait finalement de manière magistrale la mort par les balles du Président en 1963.

Caméra invisible, polémique assumée

Crisis, autre exemple de cinéma direct, autre exemple de disparition de la caméra. Quand le médium enregistre sans se découvrir, quand le médium perpétue un programme d’intégration au cœur d’un système politique et que sa régularité, au plus près des décideurs de ce monde, la fait devenir acteur politique et idéologique majeur face à des questions incontournables, comme l’intégration de deux étudiants noirs à l’université d’Alabama, alors que le gouverneur George Wallace et le peuple du conté refusent leur venue, et la question diplomatique avec Cuba.

 

       

L’invisibilité de l’outil cinématographique insiste sur la gestion au quotidien du pouvoir. Face aux enjeux importants que revêt l’intégration des deux étudiants noirs à l’université d’Alabama, le clan Kennedy se bat contre le Gouverneur Wallace face au racisme de l’Amérique rurale, voire profonde. Il est ainsi intéressant de constater la rupture que propose Kennedy avec cette autre Amérique, en prenant à rebrousse-poil toutes les conceptions surannées du partage par la couleur. Le film montre à quel point toute décision peut entraîner des dégats électoraux irrémédiables pour JFK. Tout réside dans le calcul et l’anticipation face à un électorat prépondérant, dans la défaite ou la victoire d’un candidat. La démocratisation par la monstration qu’opère Crisis parvient à dévitaliser toute aura mystique du leader et de ses conseillers. Le titre du film est aussi à mettre en rapport avec la crise qui ébranle le pouvoir de JFK. Il est facteur d’une vision de la détermination et du courage de ce dernier à exécuter un programme et ses promesses politiques, traitées avec une narration linéaire qui tente de transformer en fiction, voire en feuilleton, ce qu’est l’enjeu majeur pour les deux étudiants et le pouvoir en place.

Cette volonté de fictionnaliser le documentaire passe par la banalité pouvant être saisie avec les repas familiaux, les coups de téléphone et la spontanéité des enfants de Bobby Kennedy, alors Ministre de la Justice. Sa jeune fille, Kerry, intervient auprès de son père alors que ce dernier met en place par téléphone la stratégie à adopter pour mystifier le Gouverneur Wallace sur le campus de l’université. L’attrait et la tension politique se renversent en une situation inattendue et ubuesque, puisque la jeune fille s’empart du combiné pour demander à l’interlocuteur de son père, qu’elle connaît bien, comment il va. Cette liberté dont jouit la fille de Bobby, ainsi que celle du réalisateur la filmant, souligne à quel point cette charge du pouvoir, et le soucis de faire respecter les droits de chacun, obéissent à une tactique simple et limpide que l’ingérence d’une jeune fille ne parvient pas à déstabiliser. Si le film parvient à démocratiser le pouvoir dans sa vision de celui-ci, il montre surtout que l’opposition à la Maison Blanche n’a pas de poids. Le stratagème est simple, et tous les ingrédients sont programmés pour une victoire annoncée. Seul l’intérêt de la forme que prend celui-ci reste une motivation, voire un leitmotiv pour la progression du film. C’est ainsi une démonstration de puissance, à la limite de la propagande pro-Kennedy, comme pour Primary, que montre Robert Drew. Il s’agit d’une victoire annoncée, qui parvient à remettre en cause et à recycler le pouvoir, dans ses différentes options, dans ses différents paramètres nationaux et internationaux, tout en cherchant à promouvoir le Président et son équipe de la Maison Blanche, tout en n’esquivant pas la polémique, l’enjeu politique en faveur des Noirs d’Amérique, et leur pleine intégration dans la société américaine étant trop importante pour montrer un pouvoir, soit chancelant soit lâche, défendant leur cause.

 

        

Source illustration :

Second coffret ARTE DVD Black Panthers, collection L’autre Amérique : Primary et Crisis
 


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