Interview réalisée le 24 avril 2008.
Safy Nebbou pour ENFANCES, sortie le 14 mai 2008
Remerciements : Safy Nebbou et Zeina Toutounji-Gauvard, attachée de presse
Le projet
– Enfances est un projet atypique, rare et audacieux. Il semble aussi fait pour vous, notamment par la thématique de l’enfance. Comment êtes-vous arrivé au sein du projet ?
C’est grâce à la productrice de Enfances, Laurence Darthos, avec qui j’avais fait un moyen-métrage en 2003. Entre temps j’ai fait un premier long-métrage, Le Cou de la Girafe. Et quand ils sont venus me proposer le projet, je le trouvais plutôt atypique, singulier et séduisant, donc j’ai eu très vite envie d’y participer. La décision a aussi été faite en fonction du choix de la mise en scène, et pour cela j’étais assez libre.
– Pourquoi avoir choisi de réaliser le court-métrage sur Bergman? Quelle a été votre démarche pour ne pas le plagier, tout en lui rendant hommage ?
D’abord, parce que c’était un des scénarios écrits en premier et aussi parce que je suis un fan de Bergman. On m’a proposé le concept puis on m’a fait lire trois des scénarios, et c’est moi qui ai décidé de tourner celui sur Bergman. J’ai essayé de «faire du Bergman» sans le copier, parce qu’il fallait que tout le monde puisse s’identifier à ce petit garçon. Je n’ai pas du tout traité le personnage comme Bergman enfant. Cela permet justement une facilité d’approche. Il ne faut pas être cinéphile pour apprécier le film. De plus, ce qui m’a plu fut la situation qui est très forte : Bergman qui se retrouve avec une petite soeur et qui suit l’intention de son frère pour la tuer. Je trouve la situation drôle et à la fois effrayante. C’est cet humour là que j’aime.
– N’étant pas à l’origine du scénario, est-ce qu’il y a eu un travail préparatoire avec Yann Le Gal, le scénariste ? Avez-vous eu des contraintes, ou au contraire le libre choix d’une mise en scène ?
Totalement, concernant la mise en scène. Par contre, quand j’ai eu le scénario, il y a des petites choses que j’ai voulu faire évoluer. Je voulais adapter à partir du scénario de Yann Le Gal. Par exemple, c’est moi qui ai choisi de le situer près de la mer, dans un endroit de villégiature, pour retrouver l’esprit «Bergman». J’ai aussi ajouté seul quelques dialogues et situations. D’ailleurs, chaque metteur en scène a eu le libre choix d’adapter le scénario pour se l’approprier.
– C’est impressionnant justement de voir à la fois l’indépendance de chaque court-métrage et l’harmonie que forment les six.
Oui c’est vrai, sans doute parce que le choix des situations a été fait par Yann Le Gal. Selon moi, il y a un court qui sort du lot, c’est celui sur Jacques Tati parce qu’il a d’emblée de l’humour, un décalage et une histoire en dehors du contexte familial. Il ressort naturellement.
– Si vous n’aviez pas choisi Bergman, quel aurait été l’autre cinéaste que vous auriez voulu aborder ?
Jacques Tati. Il y a une poésie qui permet de s’échapper dans l’imaginaire, de se concentrer sur le personnage.
– En voyant Enfances, j’ai eu l’impression d’un film nostalgique sur de grands cinéastes, mais aussi un cri d’alarme concernant un héritage et une culture cinématographique à ne pas oublier. Est-ce que le film a aussi cette vocation ?
J’en suis aussi spectateur et effectivement il y a de la nostalgie, de la mélancolie. On passe à travers plusieurs histoires et figures emblématiques du cinéma qui comptent encore aujourd’hui.
Le travail de réalisateur
– Dans chacun de vos film, il y a un rapport à l’enfance, à la filiation et à la famille. Qu’est ce qui vous intéresse dans ces thèmes? Pourquoi cette passion pour l’enfant ?
Ce sont les petites tragédies de l’enfance qui me touchent. J’ai un côté Peter Pan, qui ne veut pas grandir, ni être sérieux tout le temps. Mais, je pense que mon prochain film L’empreinte de l’ange (sortie le 13 août) fermera ce cycle.
– En tant qu’acteur de théâtre, avez-vous une approche différente dans la direction de comédien?
Cela permet-il une relation privilégiée avec les acteurs ?
En tout cas, j’ai eu envie de faire du cinéma grâce aux acteurs et c’est ce que je préfère dans tous le processus d’un film. C’est vrai que j’ai fait du théâtre très jeune à l’âge de 13 ans, et ai été professeur à 20 ans. J’ai l’impression que Sandrine Bonnaire (avec qui Safi Nebbou a tourné Le Cou de la Girafe et L’Empreinte de l’Ange) et Catherine Frot (actrice dans son prochain film, L’Empreinte de l’Ange) sont sensibles au rôle que je peux avoir. Pour moi, c’est le plus important car c’est la matière vivante du film et la concrétisation du scénario.
– Dans votre filmographie, se profile le même thème lié à l’enfance. Etes-vous intéressé par d’autres sujets ou au contraire, avez-vous envie d’explorer divers aspects de ce thème?
En fait, le thème de l’enfance est venu malgré, moi et aussi par les personnes qui m’entourent. Concernant L’Empreinte de l’ange, il s’agit de l’enfance, mais depuis la vue d’un adulte. Il y a déjà un changement puisque Le cou de la Girafe et Enfances abordent le sujet frontalement tandis que dans L’Empreinte de l’ange, l’enfant n’est qu’un prétexte. Et actuellement, je prépare un film totalement différent. C’est une comédie-aventure appelée Signé Dumas, mais avec moins de comédie, d’où le refus des chaînes des télévisions.
– Enfances montre l’importance des anecdotes et des moments vécus jeunes. Lorsque vous écrivez des scénarios, des éléments de votre vie vous reviennent-ils ? Est-ce un point de départ ?
Pas forcément des points de départs. Avant tout, il s’agit de trouver un sujet, une histoire. Dans le cas de Enfances, c’est une anecdote qui, pour le cas de Bergman, est scénaristiquement forte. Concernant L’Empreinte de l’ange, le fait divers américain m’a été raconté par mon co-scénariste. C’est une femme qui harcèle une famille car elle est persuadée que leur enfant est le sien. Mais après, lorsqu’on écrit, c’est inévitable de retrouver des choses de moi, d’amis…Je me souviens d’une discussion avec Danièle Tompson. Elle disait qu’il fallait regarder le monde pour écrire. De toute façon, pour pouvoir raconter des histoires, il faut les vivre.
La cinéphilie et le cinéma français
– Enfances est un véritable film de cinéphile. Aujourd’hui, que signifie «être cinéphile» pour vous ?
Déjà ça se perd, surtout chez les jeunes. Si je regarde autour de moi, les cinéphiles sont des gens cultivés et ce ne sont pas des consommateurs. C’est le problème actuel causé par les DVD entre autre. J’ai l’impression que le cinéma se consomme presque en terme de nourriture, et qu’on n’est plus sensible au cinéma. Avant, la sortie d’un film était un événement. Aujourd’hui non. Etre cinéphile, c’est avoir un goût prononcé pour le cinéma qui «dit quelque chose», mais pas dans le sens forcément d’ un film engagé, plutôt dans celui d’ un cinéma qui prend des risques, qui ose, qui peut faire réagir. Toutefois, il y a une partie de la cinéphilie que je n’aime pas : c’est celle qui compartimente. Dans une vraie cinéphilie, on peut à la fois être fou d’un Tarkowsky ,et adorer un Indiana Jones.
– Selon vous, faudrait-il une éducation cinéphile, dans les écoles ?
Oui, et d’ailleurs il y a des actions et Enfances en fait partie. Mais, c’est aussi à nous, cinéastes, de réaliser des films de qualité, et de rompre avec ce préjugé faux, que qualité égale ennui.
– Martin Scorsese cite Peter Bogdanovich (critique, acteur et réalisateur américain), et affirme qu’il n’y a pas de vieux films, seulement des films qu’on a vus ou pas vus. Etes-vous d’accord avec cette remarque ?
Oui par exemple, La vie est belle de Frank Capra est intemporel et universel. Il y a aussi Jacques Tati, qui est lié à un univers et non à une époque, ou encore Chaplin. Certains films de Cassavetes ne vieilliront jamais. Mais, à l’inverse, certains films ancrés dans leur époque résistent mal au temps et sont désormais dépassés, bien qu’ils y aient participé.
– Quel est l’apport de Bergman dans le cinéma actuel ? Y-a-t-il un cinéaste qui selon vous se rapproche de son esthétique ?
Non, il est trop emblématique. Bergman laisse une oeuvre. Ils ne sont pas nombreux ces cinéastes comme Bergman, Fellini, Pasolini… C’est un cinéaste qui m’a bouleversé car c’est un auteur avant tout. Ses scénarios, ses essais sur le cinéma sont passionnants.
– Le Rapport du Club des 13 est sorti il y a quelques jours, est-ce que vous répondez présent face à l’appel de Pascal Ferran?
Je suis signataire parce que je connais certains membres et je défends ce rapport. Il explique de façon simple et claire les problèmes actuels. Il faut en parler. La question est de savoir comment exister quand il y a 15 films par semaine et comment faire revivre un cinéma de qualité qui plaît au public et à la critique. Aujourd’hui, le cas est rare en France. Il y a un trop grand écart entre les films d’auteur sans budget et les grosses machineries réservés aux mangeurs de pop-corn, non pas populaires mais populistes. Le cinéma du milieu, qui a besoin de moyens et qui peut divertir tout en étant intelligent, n’existe quasiment plus.