Portrait de Colin Firth

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Colin Andrew Firth a aujourd´hui 50 ans. Il vient de remporter le Golden Globe du meilleur acteur dans un film dramatique pour « The King´s Speech » de Tom Hooper. Il était temps – si on peut se permettre -, puisqu´il n´est pas certain que l´acteur britannique aurait pu incarner encore longtemps les sempiternels prétendants discrets, ou s´illustrer dans d’autres << heritage films >> made in UK.

Ce prix est évidemment une consécration (et peut-être la promesse du précieux Oscar), mais moins celle d’une carrière entière que d’un tournant, amorcé depuis 2009. Jusque-là, l’acteur, popularisé et défini pour le grand public par son personnage d’avocat rigide épris de la catastrophe ambulante Bridget Jones, semblait souffrir d’un rôle récurrent.

Tout vient finalement de ce Mr Darcy, incarné dès 1995 pour la mini-série télévisuelle Orgueil et Préjugés, réalisée par Simon Langton pour la BBC. Le personnage de Jane Austen, par ailleurs plutôt complexe, est celui d’un aristocrate du 19ème siècle, jeune homme d’apparence froid et rigide, dévoilant progressivement sa bonté et ses qualités d’homme d’honneur lorsqu’il tombe amoureux de la jeune Elizabeth Bennett.

La romancière Helen Fielding ne s’est jamais cachée d’avoir joyeusement mis en abime l’oeuvre de Jane Austen dans Bridget Jones Diary : Mr Darcy, renommé très simplement Mark Darcy, vivait désormais dans le Londres de la fin des années 90, et s’amourachait d’une héroïne bien moins gracieuse que Miss Bennett, mais évidemment bien plus drôle. Décrit comme un homme fidèle, droit, à la limite de l’ennui, il est le soi-disant parfait « English Man » des clichés sur les britanniques dont nous françaises nous gargarisons. Le charme et la discrétion faits homme, à l’inverse d’un Hugh Grant – grand opposant et opposé – maniant mieux l’humour caustique (autre distinctif très so-called anglais), la séduction et le fait d’être un parfait salaud dans cette adaptation cinéma britanno-américaine de 2001.

Issu d’une famille d’enseignants, Colin Firth ne concédera que peu d’écarts à ce rôle type, et même son image publique semble confirmer cette réputation : certainement un peu caricaturale, mais ô combien adorable, il sera un homme de bien, un peu raide et distant, mais pétri de qualités pour qui fait l’effort de les ferrer. La comédie romantique, genre habitué à produire des prototypes, sera le lieu de prédilection de ses répétitions.

Se suivent et se ressemblent donc Ce dont rêve les filles (2003), Hope Springs (2004), Un mari de trop (2008), Then she found me (2008), réalisé par Helen Hunt. Sa carrière, jalonnée ces dernières années de films pour la plupart américains, est seulement marquée par le succès en 2003 de Love Actually de Richard Curtis et son retour en 2005 pour Bridget Jones, l’âge de raison, suite affligeante (alors que le second roman est paradoxalement plus intéressant que le premier !) qui finit de l’enfermer dans son personnage récurrent. En 2008, il passe presque inaperçu dans le succès surprise Mama Mia, jouant comme à son habitude un discret et plutôt sobre (comparé au reste du film) prétendant à la paternité.

Ce rôle type, il l’a par ailleurs décliné dans un autre genre : l’univers des « Heritage films », ou films patrimoniaux, souvent des adaptations de romans, de pièces de théâtres classique, mais aussi portraits d’artistes ou encore simples films en costumes. Sa formation théâtrale, comprenant des cours d’art dramatiques reçus très jeune, une formation aux textes classiques, et l’interprétation de Shakespeare comme un passage obligé l’ont conduit à débuté au théâtre, bien que ce soit à la télévision qu’il connaitra son premier véritable succès.

Il se permet malgré tout d’incarner dès 1989 un homme légèrement moins irréprochable moralement, puisque Milos Forman lui offre le leading rôle de Valmont, où il se révèle plutôt à l’aise dans la perversion. Puis viennent Sheakspeare in love (1999), L’importance d’être constant (2003), ou encore Le portrait de Dorian Gray, (2009). On peut juste s’arrêter en 2004 sur La jeune fille à la perle de Peter Webber, dans le lequel il incarne rien moins que le peintre Johannes Vermeer. Adapté d’un roman, le récit met face à face un artiste obsédé par la recherche d’un sujet et une jeune fille entrainée malgré elle dans une relation de muse-artiste trouble et chargée de désir. Il est encore une fois d’une froideur et d’une distance glaçante qui cette fois-ci dissimule non pas une nature timide, mais une vision de l’artiste comme monstre d’égoïsme, uniquement fasciné par son art. Il travaille aussi pour Atom Egoyan dans When the true lies en 2005, et même si le film est mineur, c’est une de ses premières incursions dans le « drame » proprement dit, si ce n’est le thriller. Il prolonge le trouble en se muant peu à peu en personnage dont se méfie le spectateur, un homme capable de tuer.

Puis en 2009 viennent deux films, sortis quasi en même temps sur les écrans français, mais surtout deux personnages bien construits, dont l’un est une rupture évidente avec ses choix antérieurs, et l’autre – qui semble en être la continuité – subvertit son rôle récurent pour mieux l’abandonner.

Dans Easy Vertue, comédie de campagne anglaise (a priori, rien de nouveau) de Stephan Elliot, son personnage de père de famille, complètement dominé par une femme de tête, gomme progressivement ses oripeaux d’homme bon. Survivant du premier conflit mondial, il façonne un homme au bout de lui-même, ayant abandonné sa famille à la fin de la guerre pour s’oublier dans les bordels français. Il n’est alors plus un personnage moteur de l’histoire, jusqu’aux trois quart du récit, mais un rébus, un fantôme déjà âgé qui élude toute confrontation avec le récit, la fiction. S’il reste in extremis l’homme capable d’embarquer la jolie héroïne, cette fois-ci, la morale est loin d’être sauve puisqu’il la dérobe à son propre fils, et abandonne pour de bon sa propre famille !

Puis, Michael Winterbotton l’arrache à ses allers-retours anglo-américains et le délocalise à Genève pour Un été italien. Cette nostalgie, ces tristesses apparemment incurables déjà entraperçues dans Easy Vertue, sont enfin au premier plan. Homme en deuil (même personnage qu’il interprètera dans A single Man de Tom Ford en 2010), homme perdu vivant au milieu de ses fantômes, il impose une fragilité inversement proportionnelle à sa carrure. En père de famille ou en homosexuel dans l’Amérique des 60’, il contemple son monde avec une distance effarée, choqué par tant de solitude. S’il reste un homme bien, il devient enfin interprète d’autres personnages, plus qu’un acteur de comédies romantiques et tout porte à croire qu’avec la sortie du Discours d’un Roi, tout le monde va l’adorer…

On pourra dire ce que l’on veut du rôle écrit par David Seidler, à savoir que oui, c’est un rôle à Oscars, où le handicap physique favorise une performance impressionnante. N’empêche que dans son interprétation de monarque, c’est cette fragilité doublée d’une incapacité à être à la hauteur du personnage historique qu’on attend de lui qui le rendent irrésistible. Si les scènes de radio sont effectivement impressionnantes, Colin Firth, délaissant sa diction impeccable au profit d’un blocage dans la mécanique, du refus des mots de sortir intelligiblement de sa bouche, c’est dans les scènes plus privées que s’exerce son talent à inventer un homme encore une fois terriblement seul, dont le handicap fait  cette fois office d’isolant. Il est aussi capable, lors de face à face impressionnants avec Geoffrey Rush, d’entrecouper le récit d’un discours d’insultes et de cris assouplissant son grand corps d’ordinaire si rigide pour des scènes de comédies savoureuses.

L’état de grâce débute à peine et Colin Firth a déjà 50 ans. Comme s’il avait eu besoin du tannin de ses vieux rôles monolithiques pour enfin avoir l’envie d’interpréter des personnages dignes de son joli talent. Espérons que les lauriers et le succès ne lui feront pas oublier qu’il est, avant et malgré tout, un homme bien !
 


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