Pink

Article écrit par

La chair est triste.

Ne vous attendez pas à une comédie romantique, Pink porte aussi bien son nom que La Joie de vivre de Zola. Autour des figures de Ok-Ryeon, patronne d’un bar, de Sang-guk, son fils handicapé et de Su-jin, serveuse fraîchement embauchée, se construit un drame intimiste sur l’enfermement, voire l’aliénation. Ces trois solitudes vont apprendre à se côtoyer, dans un monde condamné à une disparition prochaine.

Comme Kim Ki-Duk, Jeon Soo-Il affectionne les plans séquences contemplatifs ; comme chez Park Chan-Wook, le réalisme n’interdit pas les parenthèses poétiques – mais le réalisateur de Pink n’a pas encore la renommée de ses compatriotes sud-coréens malgré six longs métrages à son actif. Ses références sont pourtant françaises, Jeon Soo-Il se réclamant lui-même de Jean-Luc Godard pour sa conception du montage et de Robert Bresson pour sa façon de diriger les acteurs. Et à l’instar des œuvres de ces deux réalisateurs, Pink est un film exigeant, qui peut décourager dans les premiers moments.

Le personnage principal de Pink n’est ni la gérante du bar, ni l’employée du bar, mais le bar lui-même, situé dans un no man’s land voué à la destruction. C’est lui qui traduit les émotions de ceux qui le peuplent jour après jour. Fragmenté en fenêtres, en portes, en cloisons coulissantes, il se démultiplie en une infinité de cadres, souvent mis en abyme, qui sont autant de façons d’isoler les personnages les uns des autres et de les renvoyer à leur propre solitude. Eux qui rêvent pourtant de se libérer et de prendre leur envol, comme ces mouettes qui survolent la plage et qui fascinent tant Sang-guk. Incapables de communiquer entre eux, le langage corporel est la seule option qui leur reste ; alors, se mettre à nu devient un acte désespéré, un appel au regard de l’autre pour se sentir exister. Les corps se touchent, tentent d’établir un lien et pour autant, Pink est étonnamment désincarné, à la limite de l’abstraction. Une sensation que le jeu des acteurs vient renforcer : dirigés à la manière des modèles de Robert Bresson, empêchés de jouer, ils rendent leurs personnages hermétiques. Quand il racontait, dans Oasis (2002), l’histoire d’amour entre une handicapée et un simplet, deux êtres en marge, Lee Chang-Dong signait un film sensoriel où l’on sentait les corps être au monde malgré tout.

 

A trop vouloir jouer sur la retenue, Pink en vient à flirter avec l’austérité et à se transformer en idée de film. Il lui arrive de s’incarner lorsqu’il introduit, par exemple, une menace fantastique surgie des brumes du passé de Su-jin. La caméra se met à trembler et l’on aimerait voir les choses qui se cachent derrière cette surface lisse et que l’on sent être le vrai sujet du film. C’est quand les personnages sont confrontés à ce qui les hante, et à ce qui les enferme, que le film est le plus intéressant. A la fin, on regrette seulement que le réalisateur n’ait pas été plus méchant avec eux pour en faire des êtres plus complexes et moins monolithiques.

Titre original : Pink

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 97 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…