Satoshi Kon est un réalisateur très atypique. Son dernier métrage en date ne fait que confirmer cet état de fait. Adapté d´un roman de Yasutaka Tsutui, l´un des plus importants romanciers de science-fiction, Paprika, est à ce jour le film le plus audacieux de Kon.
Dans un futur proche, des scientifiques sous la direction du Dr Tokita, mettent au point une petite machine, la DC mini, permettant de sonder les rêves des gens soit la pensée et l´inconscient. Mais un problème de taille surgit : la machine est volée, créant un véritable vent de panique chez les développeurs du prototype. Dans d´autres mains, une telle invention pourrait avoir des conséquences dévastatrices. La fiction (c´est-à-dire les rêves) menaçant à tout moment d´envahir la réalité, le Dr Atsuko Chiba, collègue de Tokita va tout faire pour mettre la main sur le voleur, aidée de son alter ego, Paprika.
Il faut tout d´abord établir un point important : Paprika, en l´état, est un tour de force technique époustouflant et hallucinant. C´est bien simple, Kon n´avait jamais été aussi loin dans l´expérimentation visuelle et narrative. Prenant pour base le postulat du rêve et tout ce que cela implique en incursions dans la réalité, le dernier film de Kon se veut une variation plus joyeuse de Perfect Blue (1998), bien que le sujet ne soit pas tout à fait le même. Mais les deux films ont cela en commun : le thème de la fiction prend le pas sur la réalité. Là où Perfect Blue expérimentait mais ne dépassait pas le cadre des codes du film de genre, en l´occurrence le thriller, Paprika, adopte une grande liberté de ton et ne s´inscrit pas dans un genre à part entière. D´ailleurs, il serait difficile de se prêter à l´exercice de classification tant Kon malmène son spectateur, ce qui pourra rebuter les cinéphiles peu réceptifs à ce genre de délire grotesque mais jouissif.
Or, il ne faut pas prendre le film pour ce qu´il n´est pas, à savoir un magma indigeste. Sous ses allures de film foutraque, se cachent une réflexion et une représentation pertinente sur les rêves et fantasmes de tout un chacun. Et de fantasmes, il en est réellement question dans Paprika. Entre un flic dont ses rêves trahissent une véritable passion pour le cinéma (voir à ce propos l´hallucinante séquence pré-générique, où notre inspecteur incarne de grands héros cinématographiques au fil de ses péripéties oniriques) et des scientifiques maboules, Paprika trouve son rythme de croisière échevelé dès le début et ne le lâchera plus ensuite.
De part son audace visuelle et le sujet qu´il aborde, Paprika est un festival sensoriel de tout les instants, qui sera cependant difficile d´accès pour certains, tant le film part dans tous les sens. Mais quoi de plus logique que de traiter d´un sujet pareil sur un ton aussi désinvolte. Le film de Kon a cela d´original qu´il ne s´affranchit pas des contraintes dues aux règles du film d´animation. En mélangeant les genres, Kon nous offre un film directement issu des fantasmes d´un << geek >> par l´intermédiaire d´une mise en scène complexe et frénétique, assimilant la fiction à de multiples références cinématographiques. Qui n´a jamais rêvé de mesurer 40 mètres de haut et de détruire une ville entière ? Qui n´a jamais rêvé de se balancer au bout d´une liane pour aller sauver sa belle ? La machine du film se voit donc comme une alternative pour des personnages frustrés par la vie d´afficher leurs véritables intentions et sentiments (le combat entre le robot et la femme géante) via des rêves véritablement ancrés dans la culture populaire, média indispensable pour l´émancipation fantasmée.
Sous ses dehors de pellicule sous acides, Paprika est un trip fun et bigarré, au thème proche de Perfect Blue mais en beaucoup moins morbide et déviant (quoique la scène << d´attouchement >> dénote sérieusement avec le reste du film par son côté immédiatement dérangeant). Citations cinéphiles obligent, le film ne fait cependant pas dans la référence gratuite (ce qu´on pourrait éventuellement reprocher à un film comme Kill Bill) et ses incursions cinéphiliques traduisent plutôt l´état d´esprit de personnages complexes et dérangés mais ô combien attachants et drôles (le personnage du flic, encore une fois, mais aussi celui du Dr Okita). Ce dernier film reste en l´état l´une des oeuvres les plus intéressantes et foisonnantes de Kon et prouve que ce cinéaste n´a pas fini de nous surprendre.