Nous, les vivants

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Pourquoi sommes-nous sur Terre ? Qu’est-ce qui nous pousse à avancer ? Si Roy Andersson ne prétend pas délivrer la réponse que la plupart d’entre nous recherchent, ses personnages eux, sont de véritables témoins de la complexité du malaise que provoque cette question. La véritable interrogation qui surgit dans Nous, les vivants serait plutôt : […]

Pourquoi sommes-nous sur Terre ? Qu’est-ce qui nous pousse à avancer ? Si Roy Andersson ne prétend pas délivrer la réponse que la plupart d’entre nous recherchent, ses personnages eux, sont de véritables témoins de la complexité du malaise que provoque cette question. La véritable interrogation qui surgit dans Nous, les vivants serait plutôt : comment avançons-nous ? Et qu’est-ce que vivre ?

Construit à la manière d’une mosaïque humaine, le quatrième film du cinéaste suédois poursuit l’ancrage de son style. Chansons du deuxième étage, son précédent long-métrage, bousculait déjà les modes narratifs conventionnels au profit d’une réalisation fragmentée. Nous, les vivants reprend ce procédé. Chaque séquence compose un tableau a priori à part entière, détaché, racontant une scène de la vie quotidienne. Une institutrice en pleurs, un couple faisant l’amour, un homme chez le coiffeur, ou encore une jeune femme qui tombe sous le charme d’une rock star.

L’absurdité du monde contemporain est partout. Dans les scènes tragiques (condamnation à mort, crise cardiaque en pleine réunion) comme dans les plus comiques (un vieillard en déambulateur traîne son chien couché sur le dos, saucissonné dans sa laisse). L’humain semble endolori, anesthésié dans son rapport au temps, aux autres, à lui-même. L’environnement inventé par le film est tellement singulier que les scènes « tragiques » où la mort surgit provoquent l’envie de rire, tandis que d’autres scènes plus légères suscitent davantage le malaise. Roy Andersson renvoie en pleine face au spectateur ses propres complexités, l’obligeant à adopter un recul contemplatif sur sa condition.

En effet, presque aucun gros plan n’est fait sur les visages. La plupart des séquences sont des plans fixes d’ensemble (style complètement Anderssonnien) qui créent une distanciation avec l’objet observé : nous. Les personnages s’affichent généralement de face, vont même, pour certains, jusqu’à s’adresser directement à la caméra. L’image baigne constamment dans un vert pâle, grisâtre, dont l’atmosphère pluvieuse fait écho aux personnages moroses, coupés les uns des autres. La communication ne semble plus passer depuis longtemps entre ces êtres urbains. Le souci accru du détail dans les décors achève d’affirmer la volonté du réalisateur d’ancrer des questions existentielles, voire philosophiques, dans le plus banal des quotidiens.

« Personne ne me comprend » ou encore « Demain aussi il faudra se lever ». Tels sont les leitmotivs angoissés qui s’échappent de la bouche des vivants filmés par Roy Andersson. Comme si leur âme mélancolique les transcendait. Et le rêve ! Ah le rêve ! Voilà un autre moyen pour le cinéaste de faire résonner l’étrangeté, la douceur, l’absurdité et le besoin d’amour et d’attention de l’Homme. Qu’ils nous racontent leurs songes ou qu’ils les vivent devant nos yeux (un peu à la manière de Luis Buñuel), les personnages sont finalement toujours amenés à côtoyer quelque chose de plus grand qu’eux.

Et c’est de là que naît le malaise. Enfermés dans le cadre de leur « tableau » (leur quotidien), ces êtres aspirent à plus grand et réfléchissent à la façon de « bien » occuper leur temps avant l’ultime scène. Or ne nous y trompons pas, cette frise intemporelle sur l’humanité n’est pas une source de dépression pour le spectateur. Bien au contraire, appuyé continuellement par la musique d’un orchestre qui rappelle un peu celle qui hante les films du magicien Kusturica, Nous, les vivants sonne davantage comme un hymne à la vie dans toute sa diversité et toute sa complexité. « C’est tout simplement une comédie tragique ou une tragédie comique dont nous sommes le sujet » résume Roy Andersson.

Nous les vivants, s’impose ainsi comme une poésie surréaliste et jouissive sur notre humaine condition. Farci d’un millier de questions, il bouscule le spectateur pour réveiller son moteur réflexif souvent rouillé par des films bien trop confortables. Finalement nous survivons tous grâce à l’humour, au rêve et aux autres souvent, même inconsciemment. L’existence, même (et surtout ?) dans ses moindres habitudes quotidiennes, révèle combien elle est profonde. Ne pas hésiter à s’engouffrer dans l’univers de Roy Andersson donc, d’où l’on ne ressort jamais vraiment, mais d’où l’on ressort toujours plus… vivant ?

Titre original : Du levande

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Durée : 95 mn


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