Mister Lonely

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« Mister Lonely » est une agréable échappée dans un monde funambulesque, traversé par un vague à l´âme et un esprit d´enfance, où se côtoient imaginaire et fragilité.

Affublé d’un Fedora noir et d’un voile, le sosie de Michael Jackson erre dans les rues parisiennes et maisons de retraite, effectuant son moonwalk et autres pas de danse afin de gagner sa vie. Sur son chemin, il croise la réplique de Marilyn Monroe. La jeune femme lui propose de le rejoindre en Ecosse, dans une communauté de sosies, et de participer à un show.

Emprunté à un tube du crooner Bobb Vinton, Mister Lonely laisse d’emblée planer dans le film de Korine une douce mélancolie, portée par le personnage principal, un double du King of the Pop. Le sosie du chanteur n’a d’autre prénom que celui de Mickael. Il est ce jeune homme au visage séraphique, étranger dans la ville, mais pas à la solitude. Esseulé, il s’adresse à sa petite chambre, derrière le masque d’une célébrité, à l’instar des répliques du Petit Chaperon Rouge, de Charlie Chaplin et de Buckwheat qui, assis sur un poney, converse avec le vide. Les monologues se réitèrent pour faire sugir cette petite bulle de solitude dans laquelle se trouvent les différents sosies. Répliques d’acteurs, de chanteurs, de personnages réels ou de fiction, tous baignent dans les sphères de l’ombre comme ces moutons qui se confondent les uns avec les autres et que la mort guette à tout instant. Misérable condition résumée dans les propos de l’un des personnages : Ship, sheep, shit. Le bateau, métaphore de la communauté, emporte ses animaux tous semblables et échoue finalement au bord de l’insignifiant. Quasi réduite au néant, dans cette nature immense, au cœur des Highlands écossais, la galerie de répliques que dresse le réalisateur n’en constitue pas moins une communauté de grands rêveurs.

Copies de célébrités, les personnages ne sont que parce qu’ensemble, ils jouent, s’adonnent à l’art du mimétisme et échappent par-là même à leur humble condition. Malgré sa fragilité, le groupe de sosies, isolé dans son château, trouve une raison d’être dans le jeu, à travers la création d’un monde onirique et déjanté, via l’imitation. Dans le film de Korine, celle-ci n’est pas du tout synonyme d’un manque d’originalité. Elle est, au contraire, génératrice de poésie. L’univers que propose le réalisateur est assurément farfelu : d’un côté, le roi de la Pop joue un match de tennis de table avec Charlie Chaplin ; de l’autre, une assemblée de bonnes sœurs se livre à une partie de volley invisible, puis flotte au milieu d’un ciel clément. Le Petit Chaperon Rouge loge dans la même demeure que feu James Dean, le Pape Jean-Paul II et Marilyn Monroe, tandis que la reine d’Angleterre fume dans le lit conjugal aux côtés d’Abraham Lincoln !

Korine fait voler en éclats les limites du réel avec allégresse, pour donner vie à un univers où le vélo se joue de la loi de l’attraction comme Pégase, cet ambassadeur de l’impossible qui s’élance dans les nuages avec son corps élancé et ses grandes ailes agiles. Sosie de star ou bonne sœur qui vole dans le ciel, les personnages de Korine perçoivent le monde avec des yeux d’enfants, et sont habités par cette foi qui consiste à croire en l’émergence de prodiges contenus en germe dans le symbole d’une coquille d’œuf toute frêle.

Mais le réalisateur ne laisse pas sa pléiade de sosies dans un univers enchanteur, à l’abri de tout malheur. La réalité rattrape les rêveurs confrontés à la mort qui les rappelle à leur faible condition, et les inscrit dans le vide. Ce néant, s’il signifie ce qui n’existe plus est aussi ce qui n’est pas encore. Il ouvre ainsi les portes de mutiples merveilles avant la chute définitive, et fait de Mister Lonely un très beau chant, qui célèbre une poésie de l’impossible.

Titre original : Mister Lonely

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Durée : 111 mn


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