Mauro Bolognini, deuxième vague

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Après avoir donné dans les oeuvres plus populaires et romanesques de Bolognini, cette deuxième fournée propose des titres plus « difficiles » mais tout aussi passionnants.

Deux ans après Liberté mon amour, Bolognini poursuivait son étude des années fascistes sous un angle inattendu avec Vertiges. Inspiré des écrits du médecin Mario Tobino, le film nous plonge dans le quotidien d’une équipe médicale dans un asile d’aliénés.

A leur tête, on trouve Marcello Mastroianni, médecin-chef totalement investi et convaincu de trouver une explication "biologique" à la folie, et menant des recherches afin d’en détecter le germe. L’équilibre des lieux bascule dès l’arrivée d’une assistante universitaire jouée par Marthe Keller, à l’approche plus psychanalytique et freudienne. Son regard extérieur va mettre à jour les dysfonctionnements divers, notamment les rapports étranges qu’entretient Mastroianni avec les autres femmes en fonction dans l’asile. Sa supposée bienveillance est sérieusement remise en cause par diverses révélations et un comportement révélant au détour d’un dialogue "tous les syndromes de la schizophrénie".

C’est là le grand thème du film, celui d’une Italie malade où la frontière entre la folie et un esprit sain est plus ténue qu’il n’y paraît, l’isolement et la société de déséquilibrés mentaux finissant par être contagieux. Bolognini multiplie les indices tels le générique d’ouverture nous montrant une fête costumée où Mastroianni apparaît grimé au milieu de ses patients sans que l’on fasse la différence ; ou encore les malades en voie de guérison (même si les rechutes inattendues sont légions) assignés aux tâches ménagères. Mastroianni est brillant d’ambivalence et Bolognini offre trois superbes portraits de femme avec Marthe Keller, Françoise Fabian et Barbara Douchet, chacune figurant la droiture, la fidélité ou la décadence, vertus les plaçant sous le joug ou en opposition à Mastroianni.

Les seconds rôles sont superbes également, Pierre Blaise (inoubliable héros de Lacombe Lucien) en homme enfant lucide mais fragile et surtout une magnifique Adriana Asti en femme de chambre en demande maladive d’amour physique. Bolognini confère la même minutie à son asile (le film fut tourné dans un vrai asile, la présence des fous orientant la performance des acteurs) qu’aux  décors d’époque plus chatoyants que ses autres films, l’extérieur étant à peine entraperçu pour un huis clos oppressant. La conclusion se fait d’ailleurs cinglante quand on quitte enfin les lieux : le discours vindicatif des tuniques noires apparaît à peine plus sensé que celui des fous qu’on a cotoyés tout le film. C’est pourtant bien celui qui régentera la politique du pays et le menera à sa perte…
 

Retour en arrière avec Les Garçons, premier film de l’association entre Bolognini et Pasolini qui va permettre pour chacun d’eux une avancée majeure dans leur carrière. Pour Bolognini jusqu’ici réalisateur de comédie populaire sans relief, c’est l’occasion de se frotter à des sujets plus sérieux en se confrontant à l’univers de Pasolini. Pour ce dernier, c’est un apprentissage du métier en cotoyant un grand cinéaste avant de passer derrière la caméra deux ans plus tard avec Accatone. C’est d’ailleurs précisément à une version moins brute d‘Accatone qu’on pense ici, à travers cette tranche de vie de petites frappes romaines.

Là où la recherche de réalisme poussera Pasolini à engager des gens du cru et à adopter une mise en scène naturaliste, Bolognini fait appel à un duo français pour camper ses mauvaises graines (Laurent Terzief et Jean-Claude Brialy post-synchronisés comme cela se faisait à l’époque dans le cinéma italien) et fait preuve du soin visuel qui lui est coutumier (voir la remarquable séquence qui introduit Mylène Demongeot). C’est donc à un équilibre entre les deux sensibilités que tient le film, Pasolini amenant sa connaissance de l’errance et de petits larcins, pratiques qui furent un temps les siennes.
 

Les personnages masculins sont particulièrement médiocres, attachés uniquement à l’argent et au plaisir immédiat qu’ils peuvent en tirer. Pas d’ambition notable lorsque la providence et la roublardise leur amènent quelques billets, aussitôt engloutis en filles, alcools et frimes diverses. L’amitié ne scelle même pas de lien durable puisque tous sont prêts à se voler les uns et les autres si l’occasion se présente. Pour creuser un peu ses personnages plutôt détestables finalement, Bolognini fait appel à son art de soigner ses figures féminines. Fil rouge du parcours des héros, ce sont les différentes filles rencontrées qui vont révéler le fond de leur coeur. Elsa Martinelli est bouleversante lorsqu’elle sort un court instant de son extérieur de prostituée exubérante et intéressée, avant qu’une raillerie de Brialy lui fasse comprendre qu’il lui mentait pour arriver à ses fins. Terzief en écorché vif est bien plus intéressant et ses tendres instants avec Mylène Demongeot dans une demeure bourgeoise (une des plus belles scènes du film) ainsi que la conclusion oisive et charmante avec Rossana Schiaffino montrent un attrait pour un ailleurs que cette vie-là. C’est sans doute à lui que Pasolini, qui a progressivement réussi à s’en sortir, s’identifie le plus. Belle réussite qui connaîtra un complément avec Ça s’est passé à Rome, collaboration suivante entre Bolognini et Pasolini (plus explicite avec les deux titres originaux La Notte Brava pour Les Garçons et La Giornata balorda pour Ça s’est passé à Rome) toujours consacrée à la délinquance romaine et qu’on espère voir sortir prochainement.
 

Côté bonus, on retrouve les instructives présentations de Jean Gili ainsi que la suite du documentaire débuté sur le dvd de Liberté Mon Amour (pour Vertiges) et un témoignage du collaborateur Andrea Occhipinti (pour Les Garçons). La restauration est une nouvelle fois splendide en particulier le superbe noir et blanc de Les Garçons.


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