Lion

Article écrit par

Garth Davis réalise un film qui plaira à tout le monde, et surtout au PDG de Google.

Saroo, cinq ans, vit avec son grand frère Guddu, sa petite sœur et sa mère dans un petit village du nord de l’Inde. Pendant que leur mère travaille dans une carrière où elle passe ses journées à casser des pierres, Saroo et Guddu font des petits boulots à droite à gauche pour amener un petit plus d’argent au foyer, qui en a grand besoin. A cette occasion, les deux frères se rendent un soir à la gare sans imaginer une seconde que cette escapade allait entraîner Saroo à des milliers de kilomètres de sa famille. Seul, parlant l’hindi dans un Calcutta qui ne comprend que le bengali, il traversera bien des épreuves avant d’être adopté par un couple australien. Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard, presque par hasard, que se posera la douloureuse question des origines.

 


Un joli conte de fées

Si elle n’échappe pas toujours à une esthétisation de la misère façon Instagram rencontre Rendez-vous en terre inconnue, la première partie – disons la partie indienne – est la plus intéressante du film. L’impossibilité de communiquer profite à la mise en scène contrainte de faire confiance aux actions et à ses acteurs pour faire sens. Avec ses grands yeux noirs qui lui mangent le visage et sa petite voix de souris, Saroo est un vrai aimant à spectateurs si bien qu’il est impossible de ne pas s’y attacher immédiatement comme il est immanquable de trembler devant tout ce qui pourrait lui faire du mal ou s’en prendre à sa mignonnerie. Malgré son histoire à la trajectoire digne d’un roman de Charles Dickens, Lion s’arrête au seuil du sordide comme pourrait le faire un Spielberg, évitant ainsi un misérabilisme trop voyeuriste. Garth Davis veut sensibiliser le public au sort de ces enfants perdus à qui il donne donc des traits trop mimi sans pour autant chercher à le heurter ou à le choquer comme les nombreuses ellipses peuvent en témoigner. Finalement cette histoire est avant tout prétexte à réaliser un conte de fées contemporain qui ne consent à exposer des souffrances qu’à la seule condition qu’elles puissent être résolues par un happy-end final. Justement, suite à une énième ellipse, nous pouvons constater que Saroo a bien grandi ; il est sur le point de faire des études de management en hôtellerie et d’y rencontrer l’amour de sa vie.

 


Mélodrame virtuel

Mais alors que tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, le souvenir de son enfance remonte à la surface en un instant grâce à l’odeur et à la vue des jalebis – une pâtisserie orange cuite en friture – version indienne de la madeleine de Proust. On ne saura pas pourquoi durant vingt-cinq ans, l’envie de savoir ce qu’était devenue sa famille ne s’est jamais maniféestée mais son irruption tombe à point nommé puisqu’elle correspond à l’invention de Google Earth qui lui permettra justement de localiser son village. L’application est la véritable star de la partie australienne : gros plans, plans moyens, zooms, elle est filmée sous tous les angles jusque dans son intimité via Street View ; Et Dieu créa Googe Earth. Le doute s’installe alors : sommes-nous encore face à un film ou face à une gigantesque campagne de promotion pour le moteur de recherche américain ? Le réalisateur adopte en tous les cas son esthétique et son principe : le survol. La désorientation de Saroo se juge ainsi à la longueur de ses cheveux, seul signe visible de la perte de repères endurée, que le réalisateur ne parvient jamais à exprimer. Le mélodrame ne peut pas être pris en charge par une réalité virtuelle. Abandonner son film à un écran d’ordinateur où se succèdent des images aussi passionnantes que le cadastre du coin n’est pas la meilleure idée du réalisateur d’autant plus qu’elle n’entretient aucun suspense puisque la résolution est déjà connue. Davis fait tout ce qu’il peut pour créer une tension mais rien n’y fait, le temps s’étale et s’étiole de click en double click, d’impressions sur imprimante et de collages de post-it au mur façon enquête policière.

Auréolé du label « histoire vraie » d’une part – celle de Saroo Brierley – et de l’implication humanitaire de sa société de production See Saw transformée en plateformes de dons destinés aux enfants des rues en Inde d’autre part, Lion fait tout pour se protéger des coups de pattes en montrant à quel point il est gentil. Et effectivement, il l’est.
 

Titre original : Lion

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 118 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.