Un joli conte de fées
Si elle n’échappe pas toujours à une esthétisation de la misère façon Instagram rencontre Rendez-vous en terre inconnue, la première partie – disons la partie indienne – est la plus intéressante du film. L’impossibilité de communiquer profite à la mise en scène contrainte de faire confiance aux actions et à ses acteurs pour faire sens. Avec ses grands yeux noirs qui lui mangent le visage et sa petite voix de souris, Saroo est un vrai aimant à spectateurs si bien qu’il est impossible de ne pas s’y attacher immédiatement comme il est immanquable de trembler devant tout ce qui pourrait lui faire du mal ou s’en prendre à sa mignonnerie. Malgré son histoire à la trajectoire digne d’un roman de Charles Dickens, Lion s’arrête au seuil du sordide comme pourrait le faire un Spielberg, évitant ainsi un misérabilisme trop voyeuriste. Garth Davis veut sensibiliser le public au sort de ces enfants perdus à qui il donne donc des traits trop mimi sans pour autant chercher à le heurter ou à le choquer comme les nombreuses ellipses peuvent en témoigner. Finalement cette histoire est avant tout prétexte à réaliser un conte de fées contemporain qui ne consent à exposer des souffrances qu’à la seule condition qu’elles puissent être résolues par un happy-end final. Justement, suite à une énième ellipse, nous pouvons constater que Saroo a bien grandi ; il est sur le point de faire des études de management en hôtellerie et d’y rencontrer l’amour de sa vie.
Mélodrame virtuel
Mais alors que tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes, le souvenir de son enfance remonte à la surface en un instant grâce à l’odeur et à la vue des jalebis – une pâtisserie orange cuite en friture – version indienne de la madeleine de Proust. On ne saura pas pourquoi durant vingt-cinq ans, l’envie de savoir ce qu’était devenue sa famille ne s’est jamais maniféestée mais son irruption tombe à point nommé puisqu’elle correspond à l’invention de Google Earth qui lui permettra justement de localiser son village. L’application est la véritable star de la partie australienne : gros plans, plans moyens, zooms, elle est filmée sous tous les angles jusque dans son intimité via Street View ; Et Dieu créa Googe Earth. Le doute s’installe alors : sommes-nous encore face à un film ou face à une gigantesque campagne de promotion pour le moteur de recherche américain ? Le réalisateur adopte en tous les cas son esthétique et son principe : le survol. La désorientation de Saroo se juge ainsi à la longueur de ses cheveux, seul signe visible de la perte de repères endurée, que le réalisateur ne parvient jamais à exprimer. Le mélodrame ne peut pas être pris en charge par une réalité virtuelle. Abandonner son film à un écran d’ordinateur où se succèdent des images aussi passionnantes que le cadastre du coin n’est pas la meilleure idée du réalisateur d’autant plus qu’elle n’entretient aucun suspense puisque la résolution est déjà connue. Davis fait tout ce qu’il peut pour créer une tension mais rien n’y fait, le temps s’étale et s’étiole de click en double click, d’impressions sur imprimante et de collages de post-it au mur façon enquête policière.
Auréolé du label « histoire vraie » d’une part – celle de Saroo Brierley – et de l’implication humanitaire de sa société de production See Saw transformée en plateformes de dons destinés aux enfants des rues en Inde d’autre part, Lion fait tout pour se protéger des coups de pattes en montrant à quel point il est gentil. Et effectivement, il l’est.