Les Nuits Blanches de Luchino Visconti chez Carlotta

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Belle édition d’un des films les plus poétiques du Maestro.

Après le relatif échec et l’accueil critique mitigé de Senso, Visconti a à cœur de prouver qu’il est capable de mener un projet ambitieux sans budget dispendieux. Ce sera le cas avec ces Nuits Blanches, belle adaptation revisitée d’une nouvelle de Dostoïevski (Visconti étant déjà familier de l’auteur pour avoir mis en scène Crime et Châtiment en 1946), source d’inspiration d’autres œuvres majeures telles que la récente ré-interprétation qu’en fit James Gray avec son beau Two Lovers.

La volonté de revenir à un projet modeste pourrait laisser supposer que le Maestro pensait retrouver la fibre néo réaliste de ses débuts, mais il n’en sera rien. L’arrivée de Maria Schell (récompensée peu de temps auparavant à la Mostra de Venise pour le Gervaise de René Clément) et de Jean Marais (apportant des capitaux financiers français) au casting contribue à réunir un budget un peu plus conséquent. Visconti va donc créer à Cineccità une portion de la ville imaginaire (Livourne chez Dostoïevski), théâtre des amours contrariées de ses héros.
 

Les Nuits Blanches, c’est le récit des déboires de Mario (Marcello Mastroianni), jeune homme solitaire qui va tomber amoureux de Natalia, obsédée par le souvenir d’un autre homme. Chaque soir elle attend sur un pont celui qui lui a promis de revenir à elle depuis un an, Visconti délivrant un récit hors du temps, s’appropriant le texte original par quelques différences subtiles dans la nature des personnages. Les errances nocturnes du couple dans ce cadre donnent des élans de poésie d’inspiration théâtrale comme la façon très artisanale dont se manifestent les éléments naturels. L’aspect de rêve éveillé se trouve renforcé par cette brume vue par une caméra filmant à travers du tulle ou cette neige factice à la touche féerique. Comme il est souligné par les intervenants dans les bonus, la mise en scène fluide de Visconti semble grandement inspirée de Jean Renoir (dont il a été l’assistant) lors des transitions passé/présent, quand Maria Schell raconte son histoire à Mastroianni. Un panoramique peut nous transporter d’un lieu à un autre en plan séquence, ou faire basculer un décor d’une temporalité à une autre d’un regard. Une autre influence française, le réalisme poétique des œuvres Carné/Prévert, n’est pas bien loin non plus.

Hormis une scène de bal où la piste s’emballe au son de rock’n’roll fifties, la dimension tragique et intemporelle du récit demeure intacte. Les passions contrariées du héros par le souvenir idéalisé de l’autre (Jean Marais, plus mature et imposant que le personnage de la nouvelle) chez l’être aimé, un amour possible entrevu dans un bref moment de communion puis une douloureuse séparation finale : tous les éléments sont en place. Marcello Mastroianni, qui se sera tant plu a fuir les rôles de jeune premier romantique auquel son physique avantageux le destinait, est ici remarquable et poignant en amoureux solitaire (sa détresse lors du finale est vraiment communicative). Maria Schell, aux confins de la folie et de la passion dévorante, amène une nature exaltée et angoissée constamment lumineuse par son jeu vivace. Visconti réussit son pari et le film obtiendra le Lion d’Argent à la Mostra de Venise.

Bonus

La copie, magnifique, rend grandement justice à la photo somptueuse de Giuseppe Rotunno. On trouve une interview passionnante du costumier Piero Tosi, très informative sur les méthodes de travail de Visconti. Le critique italien Vieri Razzini revient sur le contexte, les influences et les différences du film avec la nouvelle de Dostoïevski. Passionnant de bout en bout.


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