Les Femmes du bus 678

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Brandissant la noble cause de la lutte contre le harcèlement sexuel dans l´Égypte contemporaine, « Les Femmes du bus 678 » souffre de son formatage et de son artificialité.

Depuis Femmes du Caire de Yousry Nasrallah en 2009 et en attendant Après la bataille du même réalisateur (en compétition officielle à Cannes), le cinéma égyptien n’aura guère donné de ses nouvelles dans les salles françaises. C’est dire l’intérêt que l’on porte a priori au premier film de Mohamed Diab : Les Femmes du Bus 678 (en version originale : 678). Grand succès dans son pays d’origine, ce film se présente comme une œuvre citoyenne et militante, révélant certaines réalités sociologiques de l’Égypte contemporaine – en l’occurrence, l’ampleur du harcèlement sexuel et les tabous qui y sont associés.

Le film suit les trajectoires de trois jeunes femmes. Fayza est fonctionnaire : issue d’un milieu pauvre, elle porte le voile, au contraire de Seba, qui provient de la bourgeoisie, et de Nelly, incarnant une jeunesse plus moderne et audacieuse. Toutes trois ont été victimes de harcèlement sexuel. Aucune ne peut compter sur ses proches pour s’en remettre psychologiquement, ni pour faire condamner ses agresseurs. C’est qu’un sentiment de honte est associé à la divulgation de tels faits, dont l’ampleur semble liée d’abord à des critères économiques (les jeunes deviennent autonomes et se marient de plus en plus tard : le film met précisément l’accent sur ce point) mais aussi religieux, et là, Mohamed Diab, conformiste ou prudent, élude complètement : à sa décharge, il serait sans doute injuste de faire de l’islam le seul bouc-émissaire d’une situation dont l’Inde et le Mexique semblent souffrir encore plus.

 

La principale habileté du film : brasser des personnages de milieux différents, ce qui lui permet de densifier son scénario et d’évacuer les interprétations hâtives – ainsi, concentrer le film sur Fayza aurait laissé entendre que le harcèlement sexuel concerne avant tout les couches populaires. En revanche, les maladresses du film sont légion : d’abord les grosses ficelles d’un scénario par trop prévisible, ainsi que des personnages trop typés, voire stéréotypés (si les trois actrices principales sont convaincantes, on déplore notamment l’évocation superficielle des agresseurs). Le quasi-amateurisme de la mise en scène enfonce le clou. Le pire : le recours à des effets de flous dès qu’il s’agit de conclure une séquence sur un sentiment de désarroi.

Le film certes est courageux et animé de nobles intentions, se suit avec un certain plaisir, et parvient à manier un humour efficace sans désamorcer la gravité des enjeux. Cependant, une fois sorti des limites géographiques et culturelles que ses ambitions militantes lui assignent, il peine à convaincre. Ses maladresses deviennent alors flagrantes, ainsi que sa dette vis-à-vis de sa référence évidente : les films choraux Alejandro González Iñárritu (Amours chiennes, Babel…) – à l’aune desquels la copie de Mohamed Diab paraît bien scolaire, et plus artificielle encore que ses modèles.

En fin de compte, l’intérêt du film s’avère plus social que cinématographique. Et Mohamed Diab apparaît davantage comme un témoin engagé, certes estimable, que comme un cinéaste qui se livrerait à une exploration humaine, narrative ou formelle ambitieuse. A ce jeu, Mafrouza (qui auscultait en 2011 la vie dans un quartier d’Alexandrie) se révèle bien plus stimulant. Les Femmes du Bus 678 est un film de combat qui s’ancre dans un lieu et un temps étroitement circonscrits : c’est sa force, mais aussi sa limite
 

Titre original : 678

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Durée : 100 mn


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