Leipzig Doc festival 2008 : Le pouvoir de l´idéologie

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Le 51e festival de Leipzig, entièrement dédié aux films documentaires et aux films d´animation, vient d´avoir lieu du 27 octobre au 1er novembre 2008.

La ville est très belle, très raffinée aussi. Dans ce cadre, le festival ne pouvait que donner toute satisfaction, notamment au niveau de l’organisation, de l’accueil et surtout de la sélection des œuvres proposées, ce qui est tout de même le plus important pour un festival international. Une sélection officielle de quelques 19 films, courts et longs, l’ensemble ne laissait que peu de temps au farniente, pour peu que le festivalier courageux et passionné veuille aussi voir des films du marché ou d’animation. Une seule chose à déplorer toutefois, peut-être parce que Leipzig obéit aux directives européennes en matière de réduction des frais de représentation, ce sont les after ou les party cachées au fin fond de catacombes ou d’anciennes postes désaffectées. Ambiance branchée, à la Bilal, où des individus quelque peu grunges ou étrangers devisent en avalant une soupe chaude après avoir dûment payé un petit verre de rouge. Il paraît que l’Europe actuelle doit se serrer la ceinture, d’autant que les intellos aiment maintenant la sobriété et le béton brut, sorte de mondialisation de l’Ostalgie ?

En effet, que ceux qui douteraient encore du pouvoir de l’idéologie et des mots viennent faire un tour du côté de Leipzig. Ils y découvriraient d’abord une belle et riche cité, au passé prestigieux (Bach, Wagner, Goethe, etc. y ont séjourné ou y sont nés), qui a su traverser les outrages du temps et des dictatures. Un petit détour par le musée de la Stasi serait aussi une bonne chose pour les jeunes esprits. C’est justement en arrivant à Leipzig que je me posais cette question qui me taraude depuis toujours : comment la pensée d’un seul homme ou d’un groupe d’hommes peut s’imposer à une population entière et transformer à la fois les consciences, mais aussi les habitudes, voire l’architecture et la géographie ? Jusqu’à ce que, toujours aussi mystérieusement, un mouvement vienne le renverser, ce qui ne laisse fort heureusement que peu de chances de survie aux dictatures. Le droit et la justice finissent toujours par gagner, on ose au moins l’espérer. Et le festival Doc de Leipzig cette année, avec sa belle sélection, me permet de rebondir sur ce sujet tant les films proposés, tous plus passionnants les uns que les autres, sont une réflexion quelquefois tendre, optimiste ou souvent complètement désespérée sur l’état du monde, de la démocratie et de l’égalité entre les êtres. Children of the Pyre (Rajesh Jala) montre des enfants intouchables, en Inde, condamnés à mettre des corps sur des bûchers toutes les nuits ; Alice in the Land (Esteban Larrain) présente le long chemin d’une jeune fille dans les Andes pour trouver du travail en Colombie ; Gyumri (Jana Sevcikova) parle des enfants qui, à la suite de la mort de leurs frères dans un tremblement de terre en Arménie, sont obligés de porter leurs noms et d’endosser leur mémoire comme s’ils n’étaient pas morts…

Toutes ces souffrances sont encore la preuve que l’humanité est loin d’être parvenue à l’harmonie et, en nous donnant là matière à réflexion, on peut toutefois déplorer que le cinéma documentaire ne nous propose hélas aucune arme pour résister. Seulement constater, d’autant que certains documentaires nous semblent complètement mis en scène, tels René (Helena Trestikova) qui présente la vie d’un prisonnier pendant vingt longues années. La qualité de l’image et la scénographie, plutôt inspirées par la télé-réalité, nous feraient un peu douter de son authenticité ; il en va ainsi de même pour cette longue scène de jalousie entre une mère et son fils de 52 ans dans …Till It Hurts (Marcin Koszalka). Il n’y a que Pizza in Auschwitz (Moshe Zimerman), justement couronné par le jury de la jeunesse, pour faire souffler un peu d’humour et d’optimisme à la Woody Allen sur un sujet particulièrement atroce : la Shoah, mais à travers le récent périple dans les camps d’extermination d’un Israëlien, autrefois prisonnier des camps, maintenant homme libre et poète. Quant à The Beaches of Agnès (Agnès Varda), il fait couler par le biais de la biographie poétique et magique de la cinéaste, une sorte de paix bienfaisante et colorée qui n’a malheureusement pas reçue de nomination. Peut-être le signe de la dureté des temps que Oblivion (Heddy Honigmann, Prix Fipresci 2008 à ce présent festival) tente un peu d’adoucir en présentant la misère des petites gens de Lima, dans une résistance au malheur, poétique et digne à la fois, comme un hommage à Charlie Chaplin. Le samedi après-midi, juste avant la remise des prix dans le futuriste cinéma au cœur d’un énième centre commercial ultra-moderne du centre ville, quoi de plus apaisant, pour se changer de l’horreur du monde et de ses multiples mises en scène, qu’un concert de Bach dans la ThomasKirche dont il fut si longtemps le dévoué Kappelmeister ? Erbäme Sich mein Gott !

Prix de la Fipresci : Oblivion (Heddy Honigmann)
Prix oecuménique : Oblivion (Heddy Honigmann)
Prix de la jeunesse : Pizza in Auschwitz (Moshe Zimerman)
Prix du jury international pour le documentaire de long métrage : René (Helena Trestikovà)
Prix du jury international pour le documentaire de court métrage : …Till It Hurts (Marcin Koszalka)


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