Le Vent se lève

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Le film testament de Miyazaki : sans voler aussi haut que ses grands classiques, une oeuvre poignante et sa plus personnelle.

Il l’a promis : cette fois, c’est réellement la fin. Après l’avoir régulièrement annoncé depuis quinze ans, Hayao Miyazaki – à moins d’un revirement dont il a le secret – tire sa révérence avec son dernier film,  Le Vent se lève. Le moment où cette promesse régulièrement non tenue parut être vraie fut lors de la sortie de Princesse Mononoké (1997). Le réalisateur avait tout mis dans cette œuvre-testament : le souffle épique, les questionnements écologiques et une aura romanesque flamboyante, tout en dressant un constat lucide et désabusé sur la séparation inéluctable entre le mythe/la tradition et la modernité, où les grandes légendes d’antan ne pouvaient plus qu’être des symboles diffus dans le monde contemporain. Un monde où il n’avait plus sa place puisqu’il s’apprêtait à se retirer. La mort de Yoshifumi Kondo, son successeur désigné à Ghibli (et auteur du merveilleux Si tu tends l’oreille en 1995), l’obligea à revenir. Loin du ton funèbre et résigné de Princesse Mononoké – voire de Porco Rosso (1992) – et alors que la reconnaissance se fait enfin mondiale, Miyazaki va retrouver un second souffle durant les années 2000 en adoptant le point de vue d’une petite fille pour son Alice japonais (Le Voyage de Chihiro, 2002), retrouver les atmosphères et influences occidentales des débuts dans une tonalité différente (Le Château Ambulant, 2004) et signer son œuvre la plus euphorisante avec l’enchanteur Ponyo sur la falaise (2008).

Tout comme la mélancolie des années 90 avait répondu à la fougue de la décennie précédente, Miyazaki signe une œuvre particulièrement mortifère avec Le Vent se lève, comme pour nous rappeler un âge avancé qu’on avait fini par oublier avec la fontaine de jouvence que constituait sa filmographie des années 2000. A l’instar de Princesse Mononoke en son temps, Le Vent se lève est une œuvre-somme où Miyazaki semble avoir réuni toutes ses préoccupations. Si le classique de 1997 était son constat et sa vision du monde, Le Vent se lève fait, lui, un bilan beaucoup intime et personnel de l’état d’esprit de l’auteur. A l’origine un projet personnel destiné à être publié en manga, Le Vent se lève devient un film grâce au producteur (et co-fondateur de Ghibli) Toshio Suzuki qui aura convaincu le maître de transposer cela dans une œuvre de cinéma. Pour Miyazaki, le cinéma doit avant tout être un divertissement, une évasion où peuvent s’insérer des thèmes plus profonds (il reprocha ainsi à l’époque à son ami Isao Takaha la noirceur de son Tombeau des Lucioles (1988) alors que lui-même signait Mon Voisin Totoro). L’auteur s’éloigne pourtant de ce précepte avec ce biopic romancé de Jiro Horikoshi, ingénieur créateur du révolutionnaire avion Zero qui fit des ravages durant la Deuxième Guerre Mondiale dans le Pacifique. On retrouve ainsi la fascination des airs de Miyazaki avec ce personnage se rêvant pilote mais qu’une mauvaise vue va inciter à devenir ingénieur pour rester au plus près de sa passion. Sur une période de vingt ans, on assiste ainsi à une sorte d’Etoffe des héros (Philip Kaufman, 1984) japonais où les recherches et atermoiements de Jiro amenant à la fabrication du Zero se mêlent à l’Histoire du pays en train de basculer dans l’horreur belliqueuse et totalitaire.

L’intrigue est en de nombreux points autobiographique pour Miyazaki, qui voit un double en le personnage de Jiro. Sa propre passion pour l’aviation est née durant l’enfance grâce à son père directeur de l’entreprise aéronautique familiale participant justement à la chaîne de fabrication des Zero. La fascination pour les engins ailés se conjugue ainsi à l’aura de mort qu’il dégage par l’usage qui en sera fait, thème récurrent chez l’auteur (le même modèle de robot à la fois belliqueux puis protecteur de l’environnement dans Le Château dans le ciel). Le Vent se lève exprime dans un premier temps la fougue de cet attrait des airs, que ce soit par les clins d’œil de Miyazaki à sa filmographie (la scène de rêve d’ouverture semblant échappée du Château dans le ciel), la manière amusée d’exprimer l’influence européenne chez son héros (les apparitions rêvées du mentor et précurseur italien Gianni Caproni) et, bien sûr, le bouillonnement d’activité des bureaux de l’usine qui renvoie à ceux agitant le Studio Ghibli dans un mimétisme évident. Peu à peu pourtant, un voile sombre vient détruire cette vision. Le sentiment d’insécurité s’exprime d’abord par une terrible séquence illustrant le séisme de Kanto en 1923, où l’on sent la nature prête à se révolter face à la folie des hommes. Même s’il n’en fait pas le cœur du récit, le poids du régime totalitaire japonais traverse tout le film, tout comme ce double regard si cher à Miyazaki durant le voyage de Jiro en Europe, où il se confronte à la haine de l’autre des nazis tout en s’ouvrant à de nouveaux horizons avec le savoir-faire technologique mais aussi la culture occidentale. Le plus grand pas en arrière, Miyazaki le fait pourtant avec l’attitude de son personnage principal. Obsédé qu’il est par sa tâche, Jiro a à peine le temps de se consacrer à sa fiancée Nahoko. Le scénario dessine tous les contours d’une romance flamboyante mais qui ne le sera jamais complètement. La première rencontre en plein durant le chaos du séisme, la seconde le temps d’un été de vacances et les charmantes séquences qui en découlent (Jiro rattrapant l’ombrelle de Nahoko, tous deux s’amusant d’un avion de papier alors que Nahoko est convalescente) humanisent d’ailleurs grandement un Jiro jusqu’ici trop hermétique (et doublé de la voix terne de cet autre grand de la japanimation qu’est Hideaki Anno sollicité par son ami Miyazaki dans cette tâche inhabituelle pour lui).

Là encore, des éléments personnels viennent se greffer. Nahoko est atteint de tuberculose tout comme la propre mère de Miyazaki à l’époque, un élément qu’il avait déjà intégré dans Mon voisin Totoro, où la mère des deux fillettes était absente car au sanatorium. La pudeur de l’auteur avait laissé cet élément flou, au point de faire des héroïnes des sœurs pour éviter tout mimétisme avec son histoire, alors que le scénario initial en faisait des frères. Miyazaki exprime cette fois pleinement la culpabilité avec une romance feutrée, résignée et condamnée, qui est paradoxalement la plus charnelle de sa filmographie très chaste, mais finalement la moins poignante. Le contexte historique semble écraser les personnages, Nahoko étant une figure sacrificielle et effacée dévouée à son époux, Jiro (en dépit de son amour sincère) ne s’écartant jamais de sa mission pour son aimée. Le drame s’exprime ainsi dans une retenue touchante (la belle scène de mariage) mais où l’on sent Miyazaki peu à l’aise. Le constat final amer de Princesse Mononoke n’empêchait pas une vraie portée romanesque : ici, dénué de ses démons et merveilles, Miyazaki semble paradoxalement comme cloué au sol pour laisser respirer ce qui est son œuvre la plus personnelle, l’austérité des personnages jurant avec la vaillance farouche de ses héros habituels. Tout semble cette fois joué, il n’y a plus de raison d’y croire alors que le monde pouvait sombrer sans que l’on cesse d’essayer de se relever, encore et encore (Nausicaa, Le Château dans le Ciel, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro…).
 

Une fois de plus, c’est sans doute dans l’histoire d’Hayao Miyazaki qu’il faut chercher cette carence. L’impact de la guerre et les conséquences du grand œuvre de Jiro ne s’illustreront qu’en toute fin, dans une scène onirique renvoyant notre héros à une culpabilité nationale et personnelle par la perte de sa fiancée malade. Une culpabilité que partage sans doute aussi le réalisateur, entièrement dévoué à ce Studio Ghibli qui lui a au moins coûté des relations difficiles avec son fils Goro (dont il s’opposa au passage à la réalisation avec Les Contes de Terremer (2007) et auquel il mena la vie dure sur le tournage de La Colline aux coquelicots (2012) qui, avec moins de lourdeur, évoquait des thèmes voisins). Toute cette longue quête semble ainsi avoir été vaine pour Jiro dont la silhouette disparait lentement à l’horizon en conclusion. Miyazaki pense-t-il aussi la même chose en se retirant sur une œuvre si résignée, ou adhère-t-il au leitmotiv du poème de Paul Valery donnant son titre au film : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. »? La réponse est sans doute entre les deux, et suspendue à une possible volte-face d’un génie n’ayant jamais réellement réussi à s’éloigner de son art.

Titre original : Kaze Tachinu

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Durée : 126 mn


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