Le père de Nafi

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Mamadou Dia montre à travers ce film d’amour comment une communauté peut sombrer dans le fanatisme.

Un film en pular

Voici un film magnifique ne serait-ce que pour la qualité de l’image, des couleurs et du travail des acteurs pour la plupart non professionnels. De plus, tourné en pular, la langue des 50 millions de Peuls, ce premier film a reçu le prix de la meilleure première œuvre et le Léopard d’or de la section cinéastes du présent au Festival du Film de Locarno en 2019. Son réalisateur, Mamadou Dia, est un réalisateur sénégalais qui a obtenu son master en Réalisation/ Écriture de la New York University Tisch School of the Arts. Ce premier film a été réalisé grâce à la société de production Joyedidi qu’il avait créée pour la circonstance avec un autre jeune réalisateur sénégalais, Maba Ba, qui a pour but de valoriser le travail et de raconter des histoires qui montrent une vision du monde à partir de la perspective sous-représentée de l’Afrique noire.

 

 

Roméo et Juliette au Sénégal

Et c’est le cas pour ce nouveau film qui met en scène une sorte d’adaptation du thème de Roméo et Juliette. Nafi et Tokara s’aiment d’amour depuis longtemps dans cette petite ville du Sénégal proche de la Mauritanie qui est en fait la ville du réalisateur, Matam, mais qu’il a nommée Yonti pour les besoins du film et éviter des problèmes inutiles. A travers cette histoire d’amour qui réunit deux jeunes dont le rêve est de faire des études à Dakar, Mamadou Dia en profite pour dresser un portrait du Sénégal contemporain, pays à l’islamisme doux et teinté d’animisme, mais qui risquerait fort de sombrer à son tour dans la terreur de l’extrémisme religieux. Le père de Nafi, qui donne son nom au film, est un imam modéré apprécié dans la petite ville de Yonti, souffrant d’une maladie qui le rend un peu faible. Il s’oppose à son frère qui brigue le poste de maire et qui s’est surtout allié à un cheikh qui veut nettoyer la ville et imposer les lois de l’islam radical. Personne ne semble redouter ce basculement sous prétexte que le Sénégal est une république, mais tout le film s’emploie à nous démontrer l’inverse, en insistant sur le fait que personne n’est à l’abri en Afrique comme ailleurs. On le voit à divers détails, notamment dans cette manière de vouloir faire voiler les femmes, dans le fait que le frère de l’imam Tierno, Ousmane, apporte ses aides pour la communauté en les pliant dans un hijab comme pour insister sur les traditions, et surtout dans le maniement des armes dans ce village pacifique jusqu’alors.

 

 

Une réflexion sur le devenir de l’Afrique

Ce film est donc une belle réflexion à la fois sur l’Afrique et son devenir, ses coutumes, et bien sûr l’émergence d’un islamisme venu du Moyen-Orient, dont on n’a pas fini de parler et qui modifie en profondeur les relations entre les humains, imposant par la violence et la dictature, pas seulement une religion dévoyée, mais surtout les ambitions de certains, comme Ousmane, qui ne sont finalement que des arrivistes et des voyous. Et qui jouent bien sûr sur l’ensemble de la jeunesse en faisant mine de lui apporter des solutions. « C’est ce que je veux suggérer avec la dernière image du film : le petit Bilal, l’enfant des rues dont on n’a jamais vu les parents, sur qui Ousmane a fait une forte impression, est la cible idéale. Un jeune qui se sent délaissé, qui n’a aucun diplôme, aucune formation professionnelle, vous le prenez, vous vous occupez de lui, vous lui donnez un sentiment d’appartenance, le tour est joué. Par ailleurs, il y a au Sénégal, mais ailleurs aussi, une fracture numérique entre parents et enfants qui est très angoissante. Nos enfants sont exposés à des choses dont on n’a aucune idée. »

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