Le cinéma espagnol sous le franquisme

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Les périodes les plus troublées sont souvent les plus artistiquement inspirées, comme pour mieux témoigner d’une farouche résistance.

De son établissement en 1939 jusqu’au milieu des années 1950, le régime franquiste plongea l’Espagne dans une forme d’autarcie. L’effondrement économique du pays nécessita un assouplissement dans la politique du régime, qui se matérialisera par un rapprochement avec l’Europe et une ouverture aux entreprises étrangères. Et c’est précisément quand l’étau se desserrera que l’art, et plus précisément le cinéma, pourront jeter un regard critique sur le régime franquiste. Mort d’un cycliste (1955), de Juan Antonio Bardem, est l’œuvre fondatrice de ce mouvement et avance masqué avec un mélodrame dissimulant un regard cinglant sur la bourgeoisie espagnole. L’humour noir mordant de Le Bourreau (1963), de Luis Garcia Berlanga, est également le voile d’un virulent plaidoyer contre la peine de mort. Luis Buñuel s’attaquera à un pilier du franquisme en fustigeant la religion dans Viridiana (1961), tandis que Carlos Saura usera brillamment de l’allégorie dans ses grandes réussites de cette période. L’autorité du franquisme décline avec celle du Caudillo vieillissant et sénile, ce qui permet des attaques plus frontales avec Anna et les loups (1973) et La Cousine Angélique (1974), où Saura se penche, entre ironie et nostalgie, sur les fondations du régime. La fable et l’irruption du fantastique apportent également un regard singulier dans L’Esprit de la ruche (1973), magnifique film sur l’enfance réalisé par le trop méconnu Victor Erice, auquel on doit l’une des grandes œuvres du post-franquisme, Le Sud (1983).

Bonne lecture avant un prochain Coin du Cinéphile consacré à Miloš Forman.


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