Le Château de l’Araignée est un film complexe. A sa sortie, en 1957, il s’annonce comme étant le premier volet d’une trilogie historique qui se poursuivra par deux œuvres majeures, Les Bas-fonds et La forteresse cachée. Libre adaptation de la pièce de Shakespeare MacBeth, Le Château de l’araignée met en avant de manière très personnelle, l’ambition obsessionnelle des personnages. Tourné de manière peu orthodoxe à l’époque, de façon à coller au plus près à un système formel proche du théâtre Nô, le film de Kurosawa reste l’une des adaptations shakespeariennes les plus réussies au cinéma.
Première séquence, sous un épais brouillard. On aperçoit une pierre tombale, mettant en abîme les vestiges du Château de l’araignée. Dès départ, un style très particulier s’affirme. Bien sûr, la transposition « asiatique » d’une pièce occidentale implique un travail de réadaptation conséquent, ponctué par des changements radicaux dans l’écriture. Ainsi, les noms du film changent par rapport à la pièce, ainsi que toute la « mystification » qui tourne autour de l’œuvre de Shakespeare. Kurosawa ancre la sienne dans la culture nipponne. Puis s’attaque au travail formel avec une grande maîtrise, apportant aux images un grain particulier qui donne une sensation de brouillard constant, tissant une de toile d’araignée opaque. L’influence constante du théâtre Nô fait office de fil directeur de la mise en scène. Kurosawa oublie en effet le traditionnel champs / contre champs pour se concentrer sur un aspect scénique très proche du monde théâtral, appuyé par le « non-jeu » permanent des acteurs qui jouent plus sur une exagération permanente de la gestuelle que sur les paroles.
Le Château de l’Araignée marque également les esprits par la multiplicité de lectures qu’il propose. Le film vogue entre fresque guerrière et expérience surnaturelle. Une sorte de « film de fantômes » sur lequel plane tout du long les spectres d’une vie antérieure.
Chez Shakespeare, trois sorcières impulsaient le côté dramatique et effrayant de la pièce. Kurosawa les remplace par un esprit malin, l’esprit de la forêt, annonciateur et même déclencheur du drame. Dans cet univers spectral, il y a aussi Dame Asaji, femme « brumeuse » qui disparaît subitement dans la pénombre lors de l’admirable plan séquence qui précède la scène du premier meurtre, happée par le noir du fond de la pièce lorsqu’elle cherche l’urne de saké qui servira à endormir les gardes du Seigneur Tsuzuki.
Et comment oublier la séquence de la mort de Washizu ? Trahit par ses troupes, apeuré par la meute qui s’avance vers lui, il recule et se plaque contre un mur. Une première flèche se plante juste à côté de lui dans un sifflement strident. Une ultime tentative d’échapper au destin, puis c’est une seconde flèche qui vient l’assaillir. Cette fois ci, elle ne le rate pas, et se plante dans sa poitrine. Puis c’est une véritable envolée de flèches, sifflantes, claquantes, qui l’encerclent, formant une mortelle toile d’araignée. Une ultime flèche vient se glisser dans son cou. Il s’écroule sur le sol, et meurt en silence. On retiendra l’image forte d’une agonie qui aura durée plus de trois minutes. Mise à mort bestiale, qui clôt remarquablement cette tragédie Shakespearienne.
Le Château de l’araignée n’est pas forcément le film le plus connu de Kurosawa, mais sa force visuelle et l’intelligence du travail d’adaptation en font une œuvre complexe, audacieuse et d’une grande puissance.