Ça commence très mal. Grande demeure bourgeoise, pâle lumière d’un après-midi d’automne, réunion familiale suite à l’enterrement du fils aîné, rancune du fils maudit… Nous voici d’évidence dans ce qui s’annonce comme le prototype même du « film de famille français », où importerait moins l’impulsion d’une joyeuse dérive que la rumination, ou plutôt la difficile digestion de quelque secret n’en pouvant plus d’être gardé. Bref, L’Arbre et la forêt, sixième long métrage du duo Ducastel / Martineau, s’engage dans sa première heure sur un terrain forcément miné, n’esquivant aucune scène typique du genre (hurlements, regards sombres, portes qui claquent, éclats de larmes des jeunes filles, etc.). Difficile alors de relever ce qui au final prend dans ce film, ce qui au final lui fait excéder ce statut de lourd psychodrame, sans insister sur le ratage complet de sa longue mise en place.
Surtout, difficile d’expliciter sans lui ôter son unique part de mystère la raison précise de son salut. Disons juste que plus que tout autre film du jour, L’Arbre et la forêt justifie le fameux choix du sage exigeant de savoir « prendre son mal en patience ». Douloureuse, inquiétante par le sentiment qu’elle donne d’assister aux scènes dramatiques les plus involontairement comiques du moment, la première moitié du film apparaît ainsi comme un assemblage des clichés rendant pour beaucoup le cinéma français si peu attractif (coupable selon certains de préférer le plat naturalisme à l’épanouissement de la pure fiction).
Non que le drame et l’expression du mal qui ronge soient en eux-même problématiques (après tout, Bergman ou Pialat ont – souvent pour le meilleur – fait du mal de vivre et du gouffre existentiel la matière même de leur œuvre). D’autant que la défense récente, ici même, d’autres films de déstructuration familiale (Tokyo Sonata, Non ma fille tu n’iras pas danser, Le père de mes enfants…) prouve que c’est au fond moins le sujet qui pose problème que l’aptitude – ou non – des cinéastes à faire de celui-ci l’élément déclencheur d’un soudain emballement de la fiction (par une quête d’ailleurs, le prolongement d’une passion…) et non le seul mètre étalon de l’intégralité des séquences.
Ces grandes réserves étant posées, reste maintenant à réaffirmer que L’arbre et la forêt s’avère pourtant bien plus que la somme de ses défauts. Essentiellement en raison d’une montée progressive d’enjeux, dans ce flot de paroles et d’états d’âme, conférant à la dernière demi-heure une dimension inattendue. Classe comme toujours, Guy Marchand, qui incarne le patriarche Frédérick, marié depuis la fin de la seconde guerre à la mère de ses deux fils, Marianne (Françoise Fabian), fou de Wagner – dont-il se passe l’intégrale à chaque levée du jour (signe de sa bonne santé, sachant qu’une journée sans Wagner peut ici être source d’inquiétude… belle idée) –, parvient plus d’une fois à désamorcer, par une forme d’absence au drame, le poids des scènes les plus explicatives. Surtout, lorsque ce dernier révèle soudain l’insoupçonnable, prend corps quelque chose comme une épaisseur des mots, un ancrage temporel du récit (qui se déroule en 1999) ne manquant pas de dérouter.
La clé du film, sa raison d’être se situerait donc peut-être là : dans la parole solitaire du Père, l’installation progressive par celui-ci d’un champ d’expression et d’écoute ne requérant de sa descendance – comme du spectateur / auditeur – rien d’autre qu’une moindre disponibilité, une attention jusqu’ici cruellement manquante (par excès de blabla d’un côté, de distanciation ironique de l’autre). L’altérité est donc à conquérir de haute lutte, dans un film où chaque protagoniste semble tout du long ne s’adresser qu’à lui même (mais peut-être est-ce aussi une vision assez juste et personnelle du dialogue, de la « communication », où l’énonciation des affects ou des idées primerait en définitive sur leur juste réception). L’Arbre des – gros – mots cachait donc bien une – dense – forêt. Au sens propre (Frédérick est un sylviculteur fortuné, pour qui la question du legs et de l’héritage se pose plus que jamais, suite à la perte de son fils aîné ; la question de la survie d’un seul arbre au passage des saisons et des générations traverse comme en sourdine tout le film) comme au figuré (le secret magnifique). Ne suffisait, cette fois encore, que de laisser s’envoler enfin les feuilles mortes de toute une vie.