La Qualité française

Article écrit par

Réhabilitons une certaine tendance du cinéma français.

Dans le numéro 31 de janvier 1954 des Cahiers du Cinéma, François Truffaut, encore critique, faisait sensation avec l’article brûlot « Une certaine tendance du cinéma français ». Truffaut y fustigait un cinéma français figé dans le savoir-faire de ses scénaristes emblématiques (Pierre Bost et Jean Aurenche, Henri Jeanson), de ses faiseurs sans identité (Yves Allégret, Jean Delannoy) ou de ses talents gâchés par le conformisme (Claude Autant-Lara, René Clair, Julien Duvivier). Ce mal eut un nom, la « Qualité française ». Ce soin apporté aux dialogues, aux décors ou aux costumes, presque novateur durant les années 1930 et le « Réalisme poétique », a mué selon Truffaut en un cinéma bourgeois, dévitalisé et dénué de la moindre connexion sociale avec son époque. François Truffaut dénonce une certaine réalité et annonce dans ce qu’il fustige les audaces de la « Nouvelle vague » qui, naturellement, ira à contre-courant. Le futur réalisateur, tel qu’il s’imagine, et le critique, las de ce conformisme, s’expriment d’une même voix dans cette diatribe qui fit l’effet d’un coup de pied dans la fourmilière au sein du cinéma français. Seulement, avec ces catégories marquées et cette volonté d’imposer la politique des auteurs, Truffaut, Godard et consorts contribuèrent à négliger tout un pan réellement talentueux et pertinent de cette « Qualité française ». Henri Decoin ou Henri Verneuil, sans forcément avoir la cohérence et la continuité de « l’auteur », signèrent des œuvres parmi les plus marquantes des années 1950 avec, respectivement, La Vérité sur Bébé Donge (1952) ou Des gens sans importance (1955) ; idem pour les grands réalisateurs que furent René Clair et Julien Duvivier, lesquels, avec respectivement Les Grandes manoeuvres (1955) et Marie-Octobre (1958), réalisèrent des films qui firent scandale à l’époque. Claude Autant-Lara faisait encore montre d’un talent vivace et de son sens de la provocation avec La Traversée de Paris (1956) ou Le Diable au corps (1947), quand « l’auteur » célébré par Truffaut comme Jacques Becker pouvait tout autant s’égarer dans un Ali Baba et les quarante voleurs (1954). En négligeant le classicisme pour le seul bousculement des codes, en déifiant l’auteur au détriment du travail collectif, les « Jeunes turcs » des Cahiers brisèrent des carrières ou en tous cas atténuèrent leur retentissement critique de manière assez injuste – erreur reconduite dans leur lecture du cinéma américain où les « classiques » comme William Wyler ou George Stevens étaient péjorativement associés à la « Qualité américaine ». Ce sera d’ailleurs un des écueils de la « Nouvelle vague » lorsque, par la suite, des talents moindres se sentiront obligés d’en appliquer les préceptes sans en avoir les capacités tandis qu’au niveau de la critique, le mépris et les dogmes vains tueront pour un temps un cinéma populaire de qualité. Il faudra un Bertrand Tavernier pour inverser la tendance lorsqu’il fera appel à Jean Aurenche et Pierre Bost pour ses propres films. C’est d’autant plus ironique qu’en passant à la mise en scène, Truffaut tombera dans ce qu’il fustigeait, notamment avec Le Dernier métro (1980).

Bonne lecture avant un dernier Coin du cinéphile consacré à John Huston, à l’occasion de la rétrospective qui lui sera consacrée à la Cinémathèque française.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…