Film anti-guerre produit dans l’esprit de l’époque (les années 70 et leur militantisme forcené), La Guerre de Murphy arrive discrètement un an après le M*A*S*H de Robert Altman (donc en 1971), partageant avec son aîné un esprit libertaire et prompt à s’amuser de la guerre dans sa plus vaste dimension. Ce lourd héritage se retrouve avec malice et plus subtilement encore dans ce film de David Yates, à l’imagerie originale et parfois onirique, n’oubliant pas le genre sans cesse convoité (celui du film de guerre) pour en détourner bravement les codes dans sa conclusion. Quelques décennies après sa sortie, il est intéressant de retrouver ce film et d’y découvrir une verve et un humour omniprésents malgré la lourdeur du sujet abordé, expliquant sans doute le four qu’il fit à sa sortie.
On apprendra d’ailleurs dans le documentaire « La Loi de Murphy », accompagnant cette édition, que David Yates et son producteur refusèrent d’adapter le roman Le Parrain sur grand écran pour se consacrer à ce projet auquel tenait particulièrement le réalisateur de Bullitt. Comme quoi, tout est affaire de contexte. Comme celui dans lequel Murphy, officier anglais, se retrouve seul survivant de son équipage après l’attaque d’un sous-marin allemand, à l’aube de la victoire des Alliés. Recueilli par les indigènes d’une île et soigné par la doctoresse en charge, loin d’être indifférente, Murphy trouvera sur ce rivage isolé une dernière tâche possible à accomplir, en dépit du bon sens prodigué par le paradis l’entourant, pour se sentir en paix.
David Yates trace avec une juste sensibilité le parcours psychologique d’un homme qui, s’il paraît immuable, passe d’un état à l’autre sans transitions, dissimulé derrière l’exubérance fatigante d’un cas désespéré. Aussi improbable que cela puisse paraître de prime abord, Peter O’Toole (Murphy) trouvera en Philippe Noiret (Louis, l’administrateur de l’île), l’épaule nécessaire à la « guérison » de son mal qui ne peut passer que par une guerre personnelle et méthodique, malgré le comportement névrotique l’animant de plus en plus.
On distingue au final dans le personnage celui d’un Lawrence d’Arabie (qu’a incarné Peter O’Toole quelques années auparavant) au bout du rouleau : blasé, en ayant trop vu mais tout aussi remonté et décidé, le grain de folie en plus. Cet aspect du personnage est confirmé dans plusieurs séquences où il ne semble pas voir plus loin que le bout de son nez, vivant constamment dans l’instant présent et refusant de se projeter vers un futur sans doute préoccupant. En témoignent ces scènes de vol ahurissantes pour l’époque, et toujours magnifiques à regarder, dévoilant un paysage qu’animent les vols d’une caméra libre de ses mouvements, à mesure que Murphy domestique avec difficulté un vieux coucou chargé de l’aider dans sa détestable tâche. Des moments hors de toutes contraintes, qu’elles semblent physiques ou narratives, donnant au film un aspect supplémentaire sur lequel compter, celui de l’évasion (chimérique ou dangereusement réel).
De même, ce qui fait la force du film est ce décalage insidieux, qui, tout au long du film, est alimenté par le duo improbable que forment O’Toole et Noiret. Le résultat de cette curieuse alliance rejaillit au détour de plans paradisiaques comme un rappel à l’ordre dont se passeraient bien les protagonistes. La démonstration n’en devient que plus brutale, à l’image de ces irruptions brusques de violence dictée par une guerre dont le temps est compté, se raccrochant même aux coins les moins propices à son expansion pour survivre. En définitif, La Guerre de Murphy, en dépit de sa relative modestie, reste une curiosité à découvrir et un excellent palliatif aux films de guerre traditionnels, s’essayant volontiers à l’introspection quand se taisent les sons des canons.