La Grotte des rêves perdus est néanmoins, sans ambiguïté aucune, bien un documentaire. Au sens le plus propre du terme, le plus littéral : Herzog et sa petite équipe ont obtenu l’autorisation – unique à ce jour pour un cinéaste – de s’immerger en présence de scientifiques dans la grotte Chauvet, située au sud de la France. Découverte très récemment (1994), celle-ci abrite des peintures rupestres d’une saisissante expressivité, que la caméra 3D – dont nous remettions en question le réel apport esthétique et dramaturgique, à l’échelle de la pure représentation cinématographique, à la sortie du Pina de Wenders – rend cette fois des plus criantes. Tout le film sera pour Herzog, ses guides et accompagnateurs, mais tout autant le spectateur, avant tout le lieu d’une pure et simple présence aux signes du passé, d’une relève de ce qui au départ n’est pas fait pour être doublé, saisi par ce qui est comme son antithèse : la caméra. C’est pourtant bien elle qui, par ses capacités techniques amplifiées, sera tout du long la première alliée de ces figures muettes semblant étrangement nous interpeller.
Si fiction il y a ici, ce sera avant tout celle d’une conversation virtuelle entre les âges, d’une association progressive des images du « passé » avec la technologie d’aujourd’hui, voire de demain. Herzog – dont la voix off est doublée pour cette sortie française par celle d’un autre cinéaste, Volker Schlöndorff – apparaît plusieurs fois à l’image, mais jamais comme directeur de l’escapade. C’est plutôt lui qui semble donner aux scientifiques toute la latitude nécessaire à la plus juste contextualisation et de l’état même des lieux (que l’on ne visite pas sans prudence, tenu de ne jamais dépasser le cadre établi par l’archéologue et conservatrice Dominique Baffier, chargée de la préservation des lieux) et des œuvres qu’il abrite (amusant détail que la théorie de la même Dominique Baffier, selon laquelle au moins l’un des auteurs de ces œuvres peut se reconnaître par la torsion notable des traces de son auriculaire). Confiant dans le dossier de presse sa passion enfantine pour l’art paléolithique, c’est, bien qu’il reste au moins maître – discret – du film, effectivement tel un enfant qu’il se laisse guider dans un territoire qu’il ne cherchera pas, cette fois, à conquérir.
Si à la vision de La Grotte des rêves perdus peut s’associer au moins une réserve, celle-ci serait – outre l’omniprésence d’une musique par trop lyrique, susceptible à la longue de distraire de la pure immersion – inhérente à sa presque trop grande modestie. Si sa sortie en salle se justifie largement, force est de reconnaître que l’objet, un peu lisse – ne serait-ce le défi plus tellement fou de la 3D –, ne se distingue pas vraiment d’un excellent documentaire sur Arte (par ailleurs coproducteur du film). Nulle rupture de ton ni réel déséquilibre, cette fois : c’est à un pur film pacifiste que nous avons droit. A l’inverse de Timothy Treadwell, « héros » tragique de Grizzly man, les protagonistes de cette exploration, effectuée en équipe et de manière très sécurisée, avancent vers un surplus de vie et d’avenir plutôt qu’à leur brutale interruption. Le réel, cette fois, n’est un danger qu’à la condition d’une sortie de route de toute façon contraire à la possibilité de ce film.
Relativement déceptive, d’un point de vue strictement « spectaculaire » (un documentaire presque trop cadré, au regard des démons et visions ayant en grande partie constitué le culte de l’auteur), cette approche, par sa sagesse, est en même temps la marque d’une vraie générosité, une envie de partage – d’une passion, du privilège de mettre les pieds ici, dans cette grotte si peu accessible – largement digne de reconnaissance.