La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy

Article écrit par

L’amour du point de vue d’un juif homosexuel et de son amant travesti musulman. Cela donne « La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy », la suite des aventures (pas seulement amoureuses) du héros de « L’Homme est une femme comme les autres ». Touchant et révélateur… de talent : celui de Mehdi Dehbi.

Dix ans ont passé et Simon Eskenazy vit pleinement son homosexualité, aspirant à une certaine stabilité. Mais c’est sans compter sur la grosse piqûre de rappel que lui réserve le passé. La canicule l’oblige à garder son envahissante mère Bella et Rosalie, son ex-compagne, de retour en France avec son enfant, Yankele. Supporter sa mère, retrouver Rosalie et essayer de construire une relation avec son fils, qu’on lui a interdit de voir depuis sa naissance, tout en gérant sa sulfureuse liaison avec un travesti musulman, Naïm : c’est le nouveau défi du héros de La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy.

Dix ans après L’Homme est une femme comme les autres (titre toujours aussi long, rien n’a changé), Jean-Jacques Zilbermann permet à Antoine de Caunes de renouer avec le personnage de Simon Eskenazy, devenu un célèbre interprète de klezmer, musique traditionnelle juive. La composition de l’acteur sous les traits d’un clarinettiste juif homosexuel a, outre le facteur temporel et les exigences du rôle, gagné en maturité. Simon est moins agité et affronte les épreuves que lui réserve la vie, notamment du fait de ses choix, avec une certaine philosophie. Zilbermann met en avant cette facette du personnage au travers des multiples plans fixes sur le visage de son héros. Cette sagesse contraste avec le tumulte de sa vie amoureuse dans laquelle Naïm, alias Mehdi Dehbi, prend de plus en plus de place. Loin de la caricature et au plus près du ressenti, l’époustouflante interprétation du jeune comédien assoit le personnage de ce travesti, inspiré d’un personnage réel, pour laisser libre cours à une histoire d’amour pas comme les autres. Les identités féminines successives du jeune Naïm correspondent chaque fois à des déclarations d’amour. Naïm deviendra Habiba, garde-malade idéale de Bella pour pallier aux insuffisances de son fils, ou Angela, une juive new-yorkaise, pour se fondre dans le milieu que fréquente parfois Simon. Mehdi Dehbi, vu pour la première fois au cinéma dans Le Soleil assassiné d’Abdelkrim Bahloul, fait subtilement écho aux hésitations de l’individu, à ses blessures (amoureuses) et à sa farouche volonté de se faire aimer de l’homme de sa vie. De cela, Jean-Jacques Zilbermann ne laisse jamais le spectateur douter, notamment en filmant la liberté et l’assurance de ses personnages principaux.

Dix ans se sont écoulés, mais le scénario de La Folle histoire d’amour de Simon Eskenazy  joue toujours autant sur les contradictions que son prédécesseur. Certaines ont évolué et d’autres se sont aggravées : des homosexuels (un juif et un musulman qui se fréquentent sur fond de conflit israélo-palestinien, même si la perspective est assez lointaine) ont toujours le même effet sur des juifs orthodoxes. Le film fonctionne, peut-être davantage que L’Homme est une femme comme les autres, parce que cette histoire d’amour-là, pourtant différente, reste assez holistique et que Mehdi Dehbi la sublime. Le (seul) mérite (et on s’en contente largement) de Jean-Jacques Zilbermann est d’avoir laissé vivre ses acteurs et leurs péripéties. Pour le plaisir.

Titre original : La Folle histoire d'amour de Simon Eskenazy

Réalisateur :

Acteurs : , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 90 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…