Nourri d’influences cinématographiques aux accents gothiques et expressionnistes, Tim Burton devint très vite un réalisateur à la « patte » aisément reconnaissable au sein de l’industrie hollywoodienne. Cependant, réduire le style « burtonien » à sa seule exigence formelle serait passer à côté de ce qui définit Tim Burton en tant qu’auteur. En effet, plusieurs thèmes parcourent ses longs métrages, notamment celui du marginal qui nous intéresse ici.
Pour son premier long métrage, Pee-wee Big Adventure, Burton, malgré le cahier des charges imposant de ce film de commande, n’ira pas chercher bien loin pour s’approprier (comme il peut) le sujet du film : un adulte à la mentalité d’enfant parcourt les Etats-Unis à la recherche de sa bicyclette volée. Tout comme Burton, Pee-Wee est un introverti. Sa chambre lui procure une sécurité un peu factice que Burton va questionner en contraignant le héros à sortir de sa « forteresse de solitude » (1) et à se confronter à la réalité du monde qui nous entoure. Burton possède ce désir souvent utopique de faire cohabiter les « normaux » et les « freaks », chacun y mettant du sien mais sans se renier.
Trois ans plus tard, son film suivant, Beetlejuice, entérine l’idée du « freaks » comme victime de sa situation, aussi bien dans le cas du héros que de son nemesis. Le couple de héros est victime d’un accident de la route qui les condamne à devenir des fantômes. Beetlejuice est un fantôme condamné à jouer les exorcistes de l’au-delà pour qu’on le libère de sa prison en modèle réduit. Les véritables antagonistes sont surtout les nouveaux propriétaires de la maison, qui veulent chasser ces fantômes qu’ils estiment nuisibles. Seul l’adolescente, l’« excentrique » de la famille, se liera d’amitié avec les fantômes car elle ne les juge pas. Tout le contraire de sa famille qui refuse de croire l’adolescente, victime des préjugés à son encontre et sur les fantômes.
Ce sentiment est accentué dans les films Batman (1989) et sa suite Batman, le défi (1990). Le torturé Bruce Wayne à la double personnalité inspire plus le réalisateur que les exploits physiques de Batman. Cependant, le Joker, gangster défiguré à l’acide par l’homme chauve-souris, vole la vedette à ce dernier, tout comme le Pingouin dans le deuxième épisode. Batman a sa batcave tout comme le Pingouin a les égouts, et tous deux ont perdu à leur façon leurs parents trop tôt. L’un se déguise en chauve-souris, l’autre EST un pingouin à la difformité physique inéluctable. L’un a été élevé par un majordome anglais, l’autre par des pingouins. Une différence d’éducation menant à une impossible socialisation pour le Pingouin, au comportement plus basique et animal. En cela Burton évoque différents types de « freaks », sans sombrer dans la simplicité.
Ses monstres sont tous plus ou moins fréquentables mais ils n’en restent pas moins complexes, alors que les personnages dit « normaux » semblent assez caricaturaux en comparaison, comme les habitants de la petite bourgade d’Edward aux mains d’argent, qu’il réalise en 1990, entre deux Batman.
Ed Wood (1994) semble marquer un aboutissement et un tournant dans la carrière du réalisateur. Excentricité, univers personnel, passion du cinéma gothique classique, les points communs ne manquent pas si ce n’est que Tim Burton cartonne là où Ed Wood enchaînait les navets. Les rapports respectueux entre « le réalisateur le plus mauvais du monde » et Bela Lugosi rappellent ceux entre Tim Burton et son idole de toujours, Vincent Price. Afin de rendre son personnage sympathique, il attribue le manque de pellicule à l’étroitesse du budget en éludant soigneusement les problèmes d’alcoolisme du réalisateur, responsables de cette pénurie. Ed Wood est un marginal, il croit en ce qu’il fait, il ne se renie pas et s’en trouve récompensé, son film étant, contrairement à la réalité, un succès public. Paradoxalement, c’est Tim Burton qui connaîtra l’échec avec ce film plus personnel.
La carrière du réalisateur s’en trouve dès lors affectée. Il revient sur les écrans avec Mars Attack! (1996) où les humains sont tous ridiculisés, tous des « freaks » qui s’ignorent ou qui le deviennent (la tête de femme sur le corps de chien). Mais tout ici est détourné de manière humoristique et parodique, moins humaine qu’auparavant.
Ce n’est que trois ans plus tard que Burton revient avec Sleepy Hollow, dans lequel s’affrontent deux « anormaux » dans leur genre, un scientifique avec ses gadgets nouvelle génération, scruté d’un oeil bizarre par la population, et un cavalier sans tête, véritable figure tragique comme le réalisateur les aime.
Si en 2001, dans La Planète des Singes, il démontre encore que tout ce qui est différent (les singes pour les humains et inversement) n’est pas systématiquement inférieur ou nuisible, l’absence de véritable propos se fait sentir.
Il renaît d’un point de vue thématique avec Big Fish en 2003 dans lequel son personnage principal n’assume pas la réalité et se crée un monde imaginaire, tandis que pour la première fois le réalisateur semble y porter un regard critique. C’est quand ce vieux monsieur mourant laissera parler ses émotions et éclater la vérité de ses sentiments que la réconciliation arrivera.
L’acceptation vient par la normalisation, ce qui sera également le cas dans Charlie et la chocolaterie en 2005, quand l’ambigu Willy Wonka intégrera cette famille pauvre mais humainement modèle.
La même année, dans ses Noces Funèbres, la mariée d’outre-tombe, persuadée d’avoir trouvé l’homme de sa vie (ou de sa mort ?), se doit de retourner dans son monde, tandis que le héros, alors qu’il aurait pu se donner la mort pour devenir comme elle et pour être unis à jamais, accepte un mariage arrangé avec une autre femme, bien vivante elle. Le héros ne deviendra finalement pas un « marginal » et se fondra dans la coutume de l’époque. Comme si depuis sa paternité en 2003, il y avait eu un renoncement de la part de Burton…
Ainsi le réalisateur évoque la marginalité de ses personnages à travers leur confrontation avec le monde qui les entoure : le monde extérieur qui généralement les rejette et leur monde intérieur qui ne fait que les enfermer psychologiquement et physiquement davantage. Revenir à un sujet plus sombre avec Sweeney Todd permettra-t-il à l’auteur un retour aux sources ou prolongera-t-il sa renaissance post-Planète des Singes ?
Note : (1) Référence à Superman Lives, projet auquel fut associé le réalisateur de Batman et dont cet aspect du personnage a certainement dû retenir son attention.