La Ballade de l’Impossible – Norwegian Wood

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Pop song schizophrénique désenchantée mais satisfaite, idéaliste mais pragmatique. Résultat : on ne sait plus trop quoi éprouver.

I once had a girl… or should I say… La charmante ballade des Beatles prêtant son nom au film s’impose plus comme un clin d’œil que comme une véritable clef de lecture. Inutile d’aller méditer sur son sens caché, donc, dans le livret de Rubber Soul. Cela dit, Naoko a eu un homme aussi une fois, Kizuki. Ou devrait-on dire, il l’ « avait » elle…

Kizuki et Naoko se connaissaient depuis l’enfance. Ils respiraient l’un pour l’autre, jusqu’à ce que Kizuki décide de s’asphyxier au gaz d’échappement. Une très belle et brève scène de piscine au début du film matérialise cette interdépendance, lorsque Kizuki, nageant sous l’eau, remonte, suivant les jambes de Naoko, pour rejoindre sa bouche à la surface. Le montage cut montre, l’instant qui suit, Kizuki de profil, et Naoko, son visage radieux posé sur le dos de l’âme sœur. A sa mort, la caméra quitte Kizuki pour mieux donner à ressentir les tourments de Watanabe, son meilleur ami, amant d’un soir de la fragile Naoko après leur retrouvailles, quelques temps plus tard.

C’est le début d’une histoire d’amour impossible. On s’en serait douté aux vues du titre… La source est en fait le roman éponyme d’Haruki Murakami pour lequel Tran Anh Hung (L’Odeur de la papaye verte, Cyclo et A la verticale de l’été) dresse des décors tous plus soignés les uns que les autres. La caméra navigue pour décrire les hésitations de Watanabe. Et pour ajouter à la confusion ça et là : une course nauséeuse dans un escalier ou l’immersion sonore dans les manifestations estudiantines des sixties… On croirait un Bright Star japonais tant les paysages ne semblent exister que pour exalter la douleur des protagonistes ou figer les rares moments de répit, le soleil briller pour auréoler la douceur des têtes à têtes, la neige tomber pour cautériser les plaies, les vagues fracasser les rochers pour mieux exorciser l’échec d’un idéal d’absolu.

« Je voudrais que tu te souviennes toujours de moi »
 

Comme Fanny Brawne échevelée dans la lande après la mort de Keats, Naoko marche, infatigable et frénétique, dans les hautes herbes, les parcs et les forets, poursuivie par un Watanabe totalement désorienté. Cette recherche de pérennité dans l’écoulement fugitif du temps confère à La Ballade de l’Impossible une atmosphère parfaitement romantique. Mais à l’inverse de Bright Star, la fièvre n’est pas contagieuse. La sensualité de la réalisation prend pourtant notre corps à parti. Malheureusement l’émotion qui pourrait nous engloutir devant une telle histoire, tirant sur des ficelles propices aux larmoiements, n’est pas au rendez-vous. On en vient même à s’irriter devant la toute dernière session lacrymale du film avec Reiko… Pourquoi ?

Tran Anh Hung n’y croit pas vraiment, ce dès le début, et il ne prend pas la peine de nous faire mordre à l’hameçon. La chute est prévisible et inéluctable, elle est même le fruit de la raison. En découle une étrange sensation de frustration à la fin du film, amplifiée par la brutalité assez facile et peu satisfaisante du dénouement. Le romantisme est court-circuité par un fatalisme tragique désabusé. L’avenir présagé de Hatsumi en voix off en est un bel exemple. On sait exactement où on va, encore plus lorsque Watanabe promet à la solaire Midori de la choisir quand il en aura fini avec sa passion adolescente houleuse. Plus qu’à l’enterrement déchirant d’une utopie amoureuse, nous assistons à une véritable purge cathartique. Watanabe tire avec fermeté les fils de ses points de suture pour se faire saigner…

« Je vais devenir adulte »

Passage obligé. Le rite initiatique prend le pas sur la tristesse. On est blasé. Les discours incessants, les monologues psychanalytiques sur les problèmes vaginaux des unes et les fantasmes érotiques des autres dégradent la pureté du nœud initial de telle sorte qu’une ironie divertissante, mais tout à fait inattendue et dispensable, parasite toute implication émotionnelle. Impossible d’habiter psychiquement ce film toutefois parfaitement cadré pour nous embarquer avec lui. On ne s’ennuie d’ailleurs pas une seule seconde. On est juste lassé parfois de rester à ce point spectateur. Le romantisme noir ne fait pas bon ménage avec le schématisme tragique assaisonné de verbiage analytique. Là où le romantique lutte symboliquement contre la mort tout en la caressant, les tragiques crèvent ou bien acceptent stoïquement et bien sagement leur destin… Dans le cas de Watanabe : devenir un grand garçon en choisissant la volubile Midori qui se prend moins la tête, met des barrettes et sait faire la cuisine : « C’est la vie ma pauvre Lucette ! »

L’attachement au personnage nous est finalement refusé par la mise en scène massive, un somptueux artifice écrasant impitoyablement le potentiel des personnages, même s’il évoque souvent la peinture hantée de Caspar David Friedrich. C’est sans compter la structure élégamment pop du montage : ces passages récurrents dans le sas rock’n roll près de la cafétéria de la FAC, souvent liés aux échanges avec Nagasawa, l’épicurien nihiliste « no future »… jusqu’à ponctuer une de ses phrases avec un coup de cymbale : trop de recul tue le recul. C’est stylé, c’est sûr. Mais à l’issu de ce cocktail psychanalytico-pop-romantico-tragico-old school parfois trop imbibé de formol, le plaisir de la contemplation gratuite prend le pas sur l’investissement humain, au risque de nous interroger nous aussi, comme Watanabe : « où je suis ? »

Titre original : Noruwei No More

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Durée : 133 mn


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