Jour après jour

Article écrit par

Jean Daniel Pollet avait une volonté en tant que cinéaste : réaliser un dernier film. Oeuvre peu commune, elle aurait retracé sa vie pendant un an grâce à des photos prises de son quotidien. Il s´y est attelé entre l´automne 2002 et l´automne 2003, dans sa maison du Vaucluse. Mort en septembre 2004, avant l´achèvement […]

Jean Daniel Pollet avait une volonté en tant que cinéaste : réaliser un dernier film. Oeuvre peu commune, elle aurait retracé sa vie pendant un an grâce à des photos prises de son quotidien. Il s´y est attelé entre l´automne 2002 et l´automne 2003, dans sa maison du Vaucluse. Mort en septembre 2004, avant l´achèvement de son film, c´est son ami Jean-Paul Fagier qui s´est chargé de mettre des mots sur ses photographies et de les fixer sur comme oeuvre cinématographique. Le film retrace les derniers instants de Pollet, souffrant mais encore maintenu en vie par son projet.

Film, fiction, documentaire, photo-roman,…le genre du film pose question ! On peut même se demander s´il ne s´agit pas là d´un film testamentaire. Cependant, J-D Pollet ne veut pas y penser, et nous le dit des le début du film. Pas d´amalgame possible : << Ce n´est pas un testament, mais un voyage d´un an >>. Il fuit ainsi la véritable condition de son film, comme il fuit le temps. Peu importe, cet << O.F.N.I. >> touche cruellement à un point sensible de notre existence que nombre d´entre nous cherche à éviter : l´homme s´inscrit dans le temps. Celui-ci reste immobile tandis que nous le traversons. Nous ne pouvons lutter contre. Jour après jour, film existentiel ?

Un autre genre s´insinue pour construire une réflexion personnelle. Le spectateur est alors très vite mis mal à l´aise et tisse un lien avec sa propre vie, comme si le compte à rebours de J-D Pollet était aussi le sien. Malgré ce sujet difficile, le cinéaste nous rassure un peu. Il nous a mâché une partie du travail : sa solution est trouvée. Personne n´est dupe, les photos prises sont là pour arrêter la dégradation, la fuite du temps et mettre l´éphémère en << conserve >>. Chaque photo rappelle le temporel : ici un bouquet de fleurs, là un chat et ailleurs une orange. En fait, chaque photo contient le monde entier. Le monde a un début, une fin et au milieu, le silence est contenu grâce au déclencheur de l´appareil photo.

Mis à part le sujet du film, J-D Pollet renvoie aux racines du cinéma. Les photos sont évidemment les outils et les antécédents du cinéma. Pont entre l´esprit et la caméra, J-D Pollet s´en est servi car il n´avait plus la force physique de filmer bien sûr, mais aussi car elles sont pour lui le centre de l´univers. Pour comprendre ceci, il ne faut pas occulter le métier de J-D Pollet : cinéaste passionné ayant vécu au service des images. On rentre ainsi dans les limbes de la création d´une oeuvre. Pollet a le principe du film dans sa tête. Il en connaît les grandes lignes. Le jour, il ne sait pas ce qu´il va prendre en photo. La nuit, il est hanté par les mots qui les accompagneront. Et ainsi de suite, éternel recommencement.

Mais on comprend que cette inquiétude fait partie de son métier, et qu´un film ne saurait exister sans ce << carburateur >> qui l´a maintenu en vie malgré sa maladie et sa souffrance. On comprend mieux alors les paroles du narrateur affirmant l´analogie entre les images et le soleil. Les images s´imposent dans la vie comme le soleil se fait centre de l´univers Elles réchauffent, éclairent, sont la couleur avant le noir total. Et l´analogie ne s´arrête pas là, elle se fait aussi allégorie d´oppositions existentielles. Les couleurs belles, naturelles, vives ou nuancées sont celles de la vie tandis que le noir représente celle de l´au-delà, seule couleur visible par les défunts. Le rapport du réalisateur aux couleurs est indéniable et colporte ce message pessimiste : << Il n´ y a pas de fin, il n´ y a que du noir >>.

Pollet a mis en images sa vie mais lui seul en détenait les clés d´explication. Le narrateur est alors là pour nous éclairer sur ce qu´il a vécu et sur ses réflexions. Cette voix off, grave et monotone, articulant distinctement chaque syllabe et ponctuant son récit de phrases récurrentes, tend à retranscrire le << je >> du cinéaste. Le spectateur est alors plongé dans l´écoute d´une confession ultime. La fin prochaine est partout, sur pellicule et sur bande-son.

On pourrait penser que le film nous plonge dans le désarroi. Mais bien au contraire, même s´il nous laisse un goût amer, Jour après Jour traduit l´idée que chaque instant est décisif et qu´il faut profiter de la vie avant qu´il ne soit trop tard. J-D Pollet a réussi à transmettre cette force qui lui a permis d´achever le scénario de son film, le scénario de sa vie.

Titre original : Jour après jour

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 65 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…