Plus encore qu’Intouchables, Hasta la vista a le mérite de s’attaquer à un sujet encore largement tabou. Plutôt que de faire comme si la sexualité des handicapés n’existait pas, on pointe ici là où ça démange. Comment parvenir à une sexualité normale quand son handicap vous rend aussi dépendant des autres? Geoffrey Enthoven ne fait pas un film à thèse, mais tend avec simplicité à montrer une situation quotidienne pour des milliers de personnes qui n’ont pas droit de cité. A ce jeu, Hasta la vista, même s’il ne pousse pas assez loin, ne recule pas devant son sujet et touche même du doigt – trop timidement certes – le rôle des parents dans la sexualité de leur enfant handicapé dès les premières scènes du film. Leur sexualité restant un tabou au sein même de leur famille, les trois protagonistes dissimulent le but de leur voyage à leurs parents.
La force première du film est d’éviter un regard par trop angélique sur ses trois anti-héros. Le handicap ne confère à personne une auréole de sainteté. Philip, Lars et Jozef sont même assez gratinés. Fondamentalement gentils, mais qui profitent largement de leur handicap pour se payer la tête des autres : Claude qui les mène en Espagne sera ainsi la première victime de leur méchanceté. Le handicap peut même devenir source de comique dans le cas de Jozef dont la cécité lui confère une aura nettement burlesque, son corps toujours en contradiction avec les éléments qui l’entourent : risquant la noyade à plusieurs reprises, toujours surpris par les sèche-mains automatiques… Le regard du réalisateur s déculpabilise et n’hésite pas à aborder le sérieux de son sujet avec malice. Plus que du mélo sur la maladie, Hasta la vista se rapproche de tout un pan de la production indé, américaine notamment, mettant en avant des personnages légèrement ou carrément hors-cadre, l’aspect road movie le plaçant directement dans la lignée de films comme Little Miss Sunshine ou Transamerica. On retrouve le même regard tendre mais clairvoyant sur les personnages, l’importance d’une quête qui donne son sens et sa direction au film, et – il faut bien l’avouer – la même absence de personnalité qui font que ces films tendent à une uniformisation bien confortable, à l’établissement du label « film indé » comme format cinématographique à part entière.
Car l’engagement de Hasta la vista montre aussi ses limites. Le film a les défauts de ses qualités : il met en avant une situation et finit par la subir. Il apparaît parfois comme le catalogue de la vie du handicapé. Passé l’exposition de ce qui est généralement tabou et scellant ainsi l’humanisme de l’entreprise, le film n’a guère d’autre intérêt et sombre parfois dans le dernier des ridicules en retrouvant justement un angélisme dont il avait pourtant réussi à se dégager. On s’envoie donc les grands élans de réunion entre valides et handicapés au son de Et si tu n’existais pas et Enthoven s’offre au final une vision décalée mais malheureuse : le temps d’un plan, l’accès à la sexualité aura fait de nos trois héros des hommes des vrais, des comme les autres, qui marchent et qui voient. Hasta la vista effectue un grand écart entre un regard aiguisé sur son sujet (il faut d’ailleurs voir la grande tristesse qui émane des scènes du bordel espagnol et la manière dont la caméra les y mène comme à l’abattoir) et une paresse générale qui fait tomber sa dernière partie dans une facilité de bon aloi. Hasta la vista fait partie de ces films perclus par leur sujet, l’engagement et le culot des premières minutes se délitant au fil des scènes. Le film reste plaisant, louable et drôle, mais bancal. Dommage.