Entretien avec Fatih Akin

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« Soul Kitchen », son nouveau film, parle d’âme, de cuisine et de musique. Forcément. Rencontre avec un jeune cinéaste allemand, acclamé et funky, mais pas seulement…

Funky, a priori Fatih Akin ne l’est pas… dans la vie ! Même si la musique – soul, blues, hip hop, électro, rock ou sucrée façon loukoum post-moderne – occupe une place fondamentale dans son parcours de presque quadra. Cheveux mi-longs de jais, chemise de bûcheron vaguement repassée, l’ancien DJ des nuits branchées d’Hambourg, désormais tête de proue du nouveau cinéma allemand, est juste un interlocuteur attentif et gentil en interview. Et c’est un régal ! « Good vibrations », pourrait ainsi chanter, à sa mesure, le Brian Wilson tout en harmonies des Beach boys ! Le fait est que pour son nouveau long métrage, le cinéaste-mélomane leur a préféré le titre d’un morceau des Doors, Soul kitchen.  Une comédie au rythme très personnel, qui reprend au pied de la lettre les ingrédients de cette fameuse chanson : l’âme, la cuisine et… la musique. Une pincée d’humour, une autre d’angoisse, une large rasade d’intelligence et de décontraction, le tout saupoudré de liberté : le mieux, c’est de « l’écouter » en parler. Ouvrez grands vos yeux et vos oreilles : « Funky Fatih » aux platines rebondit de piste en mix comme si vous y étiez…

La peur

« Non, je n’irai pas jusque-là ! Mais c’est vrai que j’étais inquiet de faire ça, cette comédie. Longtemps, j’ai repoussé, comme une valse-hésitation. J’en ai écrit le premier script à l’automne 2003, après le montage de Head-on. Et puis il y a eu la reconnaissance publique et critique : je ne voulais pas devenir l’esclave de ma réputation, de mon succès. Je voulais être libre. Soul Kitchen, c’était donc le film que je devais faire… ».

Un certain style de vie

« Ce film, pour moi, c’est comme un adieu à un certain style de vie. Depuis mon adolescence, j’ai travaillé comme DJ, serveur, barman, etc. C’est une partie très importante de ma vie, avant de devenir réalisateur de cinéma. Aujourd’hui, le moment où je me trouve dans ma vie, c’est comme une ligne de démarcation entre cette époque-là, et ce vers quoi je veux me diriger. Je ne voulais pas attendre d’être un vieil homme pour revenir sur ma jeunesse. Il fallait que j’achève ce chapitre maintenant ».

Comédie

« Pourquoi la comédie ? Parce que c’est un des plus vieux genres du cinéma, et que j’avais envie de m’y frotter. Après Head-on et De l’autre côté, je ne voulais pas devenir un spécialiste du ‘film sérieux’… Vous savez, je ne suis pas qu’intéressé dans un seul style. Moi, ce qui me motive, c’est d’apprendre, toujours, encore. Cela dit, mes premiers films, quand j’étais étudiant, c’était des comédies… Et puis, mon travail est devenu de plus en plus sérieux ! Il y a autre chose, aussi, qui m’a déterminé, c’est que tous mes films précédents n’étaient pas conventionnels, simplement parce que je ne savais pas être conventionnel ! Là, je voulais être précisément dans les conventions, et apprendre à les utiliser. En fin de compte, Soul Kitchen pour moi, c’est une expérience. D’autant que c’est très dur, finalement, de se plier aux lois du genre ! ».

Cuisine et gastronomie familiale

« Comme vous le savez, je viens d’une famille turque. On n’était que deux frères. D’ordinaire, c’est à la femme, dans cette culture, qu’échoit le devoir de faire la cuisine. Mais ma mère, qui était malade, a tenu à ce que nous sachions, mon frère et moi, faire la cuisine dès notre plus jeune âge. En réalité, je ne suis pas un très bon cuisinier : en général, ce que je prépare, c’est trop salé ! Mais la cuisine, c’est quelque chose d’important dans ma vie. Je me souviens de ma seule et unique année à l’université… Les premiers six mois ont tourné essentiellement autour de deux pivots, le sexe et les films, et les six derniers mois autour de deux autres obsessions… La cuisine et… les films ! Bon, cela dit, aujourd’hui je suis végétarien… ».

 

 

La musique

« J’ai fait trois films avant Head-on. A l’époque, je filmais avec une idée de chanson en tête, mais au moment du mixage, c’était trop cher et il fallait que je change de morceau : c’était trop frustrant ! A présent, je ne démarre le tournage que lorsque je suis sûr d’avoir la musique ! Parce que, quoi qu’il en soit, j’ai toujours imaginé mes films comme des sets de DJ. Sauf qu’au cinéma, je mixe de la musique et des images… Vous savez, la première chose que je fais en me levant le matin, c’est d’écouter de la musique, alors… Cela dit, chaque film appelle sa propre musicalité. Pour De l’autre côté, par exemple, j’ai essayé de ne mettre que très peu de musique, comme une expérimentation. Alors que pour Soul Kitchen, qui raconte le mode de vie d’un groupe de gens qui se nourrit, littéralement, de musique, je savais à l’oreille quelles articulations, quelle souplesse de rythme à l’image cela induisait. En fait, je voulais que l’on passe d’un plan à l’autre de façon quasi imperceptible… ».

Personnel

« Je crois être un cinéaste très personnel, et ce film, en tout cas, est un travail très personnel. La première chose, c’est que ce restaurant, où se retrouvent tous les protagonistes du film, a vraiment existé. Il ne s’appelait pas comme ça, mais l’acteur qui joue le rôle principal de Soul Kitchen, Adam Bousdoukos, en était effectivement le propriétaire. J’y étais tout le temps fourré, et une fois par semaine, à l’époque, j’y faisais le DJ. Cela correspond à une période très belle et très riche de notre vie et de notre quartier. C’est de ça dont je voulais parler… Et puis aussi, l’anecdote du mal de dos du personnage principal… Pendant le montage de Head-on, j’ai eu des problèmes de stress et je me suis coincé le dos… Une hernie discale ! C’était tellement horrible que mon père m’a emmené chez ce chiropracteur turc que l’on voit dans le film et… ça m’a aidé ! ».

Le cinéma

« Je pense que Soul Kitchen n’est pas tant sur la cuisine que sur le cinéma ! Un restaurant, c’est un peu comme une équipe de film… Le producteur, c’est le proprio du resto, et le réalisateur le cuisinier. C’est une métaphore parfaite pour le processus du cinéma, non ? Regardez, dans mon film, le cuisinier est un enfant terrible, un alcoolique… En fin de compte, le génie dont on ne peut se passer, ha, ha… ».

 

 


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