Exposition Annie Leibovitz a la Maison Européenne de la Photographie

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Côté pile ou côté face ? Scintillant et papier glacé, ou intime en noir et blanc ? Annie Leibovitz, photographe aux multiples facettes, est mise à l’honneur à la Maison Européenne de la Photographie. Un parcours muséal qui ne peut se concrétiser sans le documentaire de sa soeur, <>.

              Exposition "Annie Leibovitz : Photographer’s Life"  jusqu’au 14 septembre 2008 ( « A Life through Lens » de Barbara Leibovitz tous les samedis et dimanches à 15h)

A l’instar de l’ouverture de « A Life through Lens », documentaire de Barbara Leibovitz, le nom de Annie Leibovitz  est sur toutes les lèvres. Pour la première fois présenté en Europe, cet accrochage parisien organisé par le Brooklyn Museum of New York, restitue la place primordiale prise par cette photographe talentueuse et dévoile une part inconnue de son travail. Encore inédit en France, le documentaire – indépendant de l’exposition – est pourtant précieux, au-delà du simple portrait de la photographe. Le film suit Annie Leibovitz lors de séances de shootings et lors de la préparation de l’exposition ;  il  rompt ainsi, par un montage parallèle parfois troublant, la distinction entre vie privée et vie publique, pierre angulaire de "A Photographer’s Life". A  dire vrai, le choix d’accompagner cette exposition du documentaire demeure plus un complément indispensable qu’ un bonus.

1967 : Année Rolling Stone

Il était une fois San Francisco, petite ville californienne qui devint l’eldorado d’une bande de jeunes pacifistes, berceau de la contre-culture, du Free Speech Movement, des pensées libertaires et marginales. En 1967, comme l’a filmé Antonioni dans Zabriskie Point, les étudiants du campus de Berkeley se détachent de l’éducation puritaine et protestante de leurs parents, et laissent éclater leurs colères couvées depuis le début des années 60. L’hégémonie américaine et le rêve de l’Amérique de JFK s’étant volatilisés, les conflits de la Guerre Froide se multipliant, la nouvelle génération cherche un échappatoire à la morosité, tout en étant en prise avec les sujets brûlants du monde actuel, comme les droits civiques ou les essais nucléaires.

Alors, l’année 67 n’est  pas une année beatnik, mais bel et bien « Rolling Stone ». Un magazine, lancé par  Jann Wenner, témoignera de l’engouement pour cette vivacité culturelle et protestataire. Définitivement rock’ n’ roll, comme le chantent Bob Dylan ( Like a Rolling Stone – premier titre rock) et le groupe de Mick Jagger, cette période reste encore dans les mémoires comme le symbole de la prise de parole des anti-conformistes, emplis d’espoirs et de rêves pour une société sans préjugés, libre et égalitaire.

 

Membre de ce bouillonnement artistique, Anne-Lou Leibovitz, jeune étudiante suivant les cours du soir de photographie au San Francisco Art Institute, s’immerge dans ce courant d’idées et d’actions, avant d’en devenir une protagoniste incontestable, malgré elle. Née en 1949 dans le Connecticut, cette jeune fille troisième d’une famille de six enfants, se passionne pour le photo-reportage et les clichés de Henri Cartier-Bresson. Pourtant, ce n’est pas en parcourant le monde, la pauvreté et les guerres qu’elle débutera, mais en croisant Jann Wenner, simple étudiant, devenu l’heureux rédacteur en chef de Rolling Stone. Devenant la photographe officielle du magazine en 1973, elle atteint rapidement la consécration grâce à une photo : Yoko Ono enlacant John Lennon nu, cinq heures avant son assassinat. A l’orée d’une carrière naissante et prometteuse, elle rejoint le cercle restreint des photographes acclamés et sollicités de toutes parts. En 1975, elle suit les Rolling Stones lors de leur tournée américaine. Sa carrière est lancée sur les chapeaux de roues et se perpétue pendant 10 ans (142 couvertures), aux côtés du mensuel musical, avant de côtoyer Vogue et Vanity Fair.

Désormais, être photographié par Annie Leibovitz revient à franchir, en une pause et un clic, le cap de l’anonymat. Un portrait est un passeport et un certificat vers la starification. Demi Moore, enceinte et nue, les mains de Bruce Willis posées sur ses seins, photographie qui choqua l’opinion publique par son avant-gardisme, demeure l’exemple pionnier et majeur de cette démarche artistique, cinématographique – essentiellement – et industrielle. Keira Knightkley, Scarlett Johansson, Julianne Morre, Mikhail Baryshnikov, Bill Clinton…. étoiles montantes ou actrices confirmées, hommes politiques, danseurs et chanteurs, tous patientent sous les objectifs de Annie Leibovitz, sachant que le négatif aura nécessairement un effet positif.

« Je photographie ce que je ne peux pas peindre » Man Ray

Omettant les premiers clichés rock’n’roll d’Annie Leibovitz, et accordant peu de place aux pourtant innombrables portraits de l’artiste, l’exposition suscite intérêt, perspicacité et gêne. Dès les premiers accrochages, la juxtapostion entre les photographies standard de sa compagne Susan Sontag, atteinte d’un cancer, et les portraits géants de R2D2, conduit à une intrusion dans la vie intime de l’auteur. Abaissant les cloisons entre sphères publique et privée, le sentiment de gêne s’accompagne également d’une compréhension humaniste et sournoise du geste de la photographe. Celle à qui l’étiquette de photographe des stars fut imposée, n’encouragerait-elle pas le public à se détourner des courants mainstream, des paillettes hollywoodiennes et des informations avalées sans être jugées ? Les ressacs des années 60 ne seraient-ils pas dominants, attestant d’un goût intact pour le contre-courant et la pluralité artistique  ?

La question reste donc en suspens : pourquoi si peu de couvertures de magazines et de publicité ? Car, derrière ces commandes, se cache un travail de peintre graphiste armé d’une palette numérisée, écrin mondialisé et ouvert à de véritables œuvres d’arts. Les shootings et couvertures de Vanity Fair, Rolling Stone et Vogue, bien que jugées commerciales, révèlent une esthétique héritière du Baroque, de la statuaire antique, le tout croisé avec les effets chromatiques saturés du numérique. Pour paraphraser Man ray, les photographies de Annie Leibovitz deviennent des compositions raffinées, fantastiques, graphiques, toujours proches des pictures stories, valeur attribuée aux forces narratives d’une photographie.

Entre spontanéité et création graphique, Annie Leibovitz cimente la puissance de la photographie. Cette artiste est en quelque sorte la parole de la langue historique, sachant faire converger sur un même cliché la précision des compositions d’Henri Cartier Bresson, la féérie de l’American Dream et l’amour des lumières puisées dans les peintures.

RENS : www.mep-fr.org 
 
 


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