Rencontre avec Emir Kusturica

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Casting inattendu pour « L’affaire Farewell », film d’espionnage tout à fait recommandable de Christian Carion, en salle le 23 septembre. Emir Kusturica, jusqu’alors cinéaste ébouriffé mais accompli, y interprète un officier du KGB, à la fois romantique et fataliste. Il y est parfait. Rencontre avec un acteur… prometteur !

Il a l’air d’être le premier surpris, Kustu ! Oui, le film de Christian Carion est « bon », et oui, il se trouve plutôt « pas mal » dedans ! Deux aveux que cet escogriffe d’ordinaire farouche concède, en interview, avec une douceur inhabituelle. De fait, sa rencontre avec le réalisateur gentiment académique de Joyeux Noël était, a priori, plus qu’improbable. Or, contre toute attente, le balkanique Emir, cinéaste ébouriffant du Temps des Gitans, «  guitar hero » foutraque du groupe The no smoking orchestra, est bel et bien à sa place dans L’affaire Farewell. Mieux, dans ce film d’espionnage français tout à fait intéressant – en salle le 23 septembre – cet acteur quasi-néophyte irradie d’une fausse nonchalance et d’une vraie mélancolie carrément épatantes ! Kustu, en colonel défait du KGB, héros très discret de l’ultime guerre froide des années 80 : on prend. Et on l’écoute, dans son sabir franco-anglais ci-devant…

Emir Kusturica acteur, même si l’on vous a déjà croisé chez Patrice Leconte, voire dans trois de vos films, c’est inattendu ! Surtout dans un premier rôle…

Oui, enfin, c’est quand même un peu tard pour construire une carrière ! Disons qu’aujourd’hui, j’ai la chance de pouvoir choisir des trucs sympas. Intéressants. Par exemple ce personnage. Et je ne l’ai pas choisi, parce que c’est une histoire controversée, hein ! Non, ce qui m’a attiré, c’est l’aspect humain de cette histoire. C’est très rare qu’on vous propose un thriller qui attache autant d’importance à la part individuelle de l’être humain. En plus, Christian Carion réalise des films élégants…

Vous vous intéressez aux films d’espionnage ?

En règle générale, pas du tout ! James Bond est quelqu’un de très musclé… Mais derrière tout ça, il y a une dimension idéologique simpliste. Là, ce qui m’a le plus intéressé dans le scénario de Carion, c’est l’ambiguïté de mon personnage, son côté double. Et puis, c’est un idéaliste malgré tout, même si cela peut sembler stupide aujourd’hui ! Moi je trouve qu’au contraire c’est quelque chose de positif… Cet idéalisme renforce le monde.

L’idée d’incarner un officier russe du KGB vous a-t-elle semblé… disons… délicate, à un moment donné ?

Franchement, je n’ai jamais envisagé ce personnage comme un « officier du KGB ». Ce qui m’a intéressé chez lui, c’est sa volonté affichée de changer le monde, et sa posture très particulière entre le bloc soviétique et l’Occident. En fait, je me suis focalisé sur la manière dont un être humain peut, éventuellement, influer sur le cours de l’histoire. En fin de compte, ce qui m’a posé le plus de problème, c’est de tourner en français et en russe, deux langues étrangères pour moi, même si j’ai quelques rudiments dans l’une et l’autre ! En même temps, en tant que musicien, c’était un vrai défi. Il faut avoir une oreille musicale pour parler des langues étrangères !

L’action du film se déroule en 1983, en pleine guerre froide. Beaucoup de choses ont changé depuis. Avez-vous le sentiment, vous « l’homme de l’Est », que les choses ont changé en bien, singulièrement en Russie ?

En Russie, c’est mieux, dans le sens où Obama et Medvedev parlent de réduire l’arsenal militaire. Mais l’histoire d’aujourd’hui, c’est peut-être la Chine qui rentre en piste. Il y a un nouveau Titan sur la scène internationale. Donc cette histoire, celle de Farewell, c’est presque une histoire de dinosaures…

Le fait d’être Serbe aiguise-t-il votre regard sur cette partie du monde, et sur ce moment de l’Histoire ?

En fait, moi je me sens européen ! Bien sûr, j’ai des sentiments très contradictoires du fait que je viens des Balkans, un endroit… très contradictoire lui aussi ! Mon héritage familial est serbe orthodoxe. A l’origine de cette famille, il y a deux frères au 17e siècle, dont l’un s’est converti à l’Islam et l’autre est resté orthodoxe. Tout est assez mélangé. Et puis, j’ai grandi en Serbie mais j’ai fini mes études à Prague… Voyez… Et puis, en tant que réalisateur, j’ai une reconnaissance principalement en France ! Donc c’est pour ça qu’au fond je me sens européen. Même si, la plupart du temps, je suis dans mon village en Serbie. Où j’apprends à conduire un hélico… pour aller plus vite à l’aéroport !

Sinon, pour en revenir à la question initiale, et puisque vous êtes d’abord un réalisateur : vous vous aimez bien en tant qu’acteur ?

Quand je me suis vu dans ce film, que je trouve d’ailleurs réussi, je me suis dit que, peut-être, je pourrais faire l’acteur dans mon prochain film… Il sera consacré à Pancho Villa… Voilà (sourire)…

Propos recueillis par Ariane Allard

 


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