DVD : « L’Etranger en moi »

Article écrit par

Présenté à la Semaine de la Critique lors du Festival de Cannes en 2008, « L´Etranger en moi » d´Emily Atef, réalisatrice franco-iranienne, pose un regard réfléchi et juste sur le baby blues.

Aussi appelée dépression périnatale, la période difficile qui suit l’accouchement n’est pas forcément source d’inspiration cinématographique. Manque de dialogue, mère fatiguée, problèmes fréquents de couple, nombreuses scènes avec un bébé, le sujet a tenté quelques cinéastes avant Emily Atef. On pense notamment à The Mother, film américain de Lars Jacobson, mais aussi à Mother and child de Rodrigo Garcia, qui posait déjà la question d’être mère et d’assumer ce rapport à l’enfant.

Sois mère et tais-toi

Dans L’Etranger en moi, tourné en Allemagne avec une actrice pour la première fois à l’écrann (Susanne Wolff), la force et la puissance de certaines scènes, notamment en présence du nouveau-né, témoignent d’une maîtrise absolue en matière d’effet de style de la part de la réalisatrice. En effet, les instants de silence, les plans larges sur la mère dans son désespoir le plus total, le parti pris de ne pas en montrer trop donnent au film un aspect profond, noir, sensible. Difficile de ne pas partager ce mal-être, de ne pas se mettre à la place de cette femme en souffrance qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Pour un premier grand rôle, l’actrice qui joue Rebecca est partagée entre donner et laisser voir, c’est-à-dire une certaine aptitude à transmettre ses émotions, même à travers ses silences.

« Rabenmutter »

Autrement dit, « mère corbeau ». Le sujet est passionnant : en Allemagne, il est très mal vu pour une mère de laisser ses enfants à une nounou et de reprendre le travail juste après leur naissance. Cette position et ces mœurs vis-à-vis des femmes ou plutôt des mères donnent au film, inspiré de la réalité et du phénomène de baby blues, une connotation revendicatrice. Certes, élever son enfant est essentiel, dans les meilleures conditions possibles, mais au regard du long métrage d’Emily Atef, nous pouvons cerner l’impact d’être mère, de devenir mère, tout en ayant une activité professionnelle, des envies et des besoins de femme. Dans le film, c’est à la femme de s’arrêter de travailler, d’être naturellement porter à aimer son enfant, à être constamment auprès de lui, de comprendre son mari lorsqu’il rentre du travail. Or, la difficulté de cette « maladie » post-naissance est justement de ne pouvoir établir aucun lien inné avec son enfant, lien perdu, rompu que la femme doit à nouveau créer.
 

Le choix judicieux d’un acteur, Johann von Bülow, capable d’être à la fois sensible et dans le contrôle, montre la difficulté non seulement d’accepter cet état de baby blues mais aussi les conséquences de cette « faille » dans un système où les parents doivent être solides, forts, capables.

 

Finesse
 
Le sujet ne prêtait pas à être artistique, cependant, L’Etranger en moi raconte une histoire, celle de la dépression post natale qui touche entre 10% et 20% des femmes en Europe. Le film est aussi, par sa réalisation brute et naturelle, sans doute inspiré de l’art. On trouve des touches de lumière semblables à celles d’un tableau de Hopper ou de Vermeer. Une belle fresque, certes dure, d’un couple et d’un mal-être sociétal, représentatif et subtilement mis en scène.
 

DVD disponible depuis le 28 juin 2011. Distributeur : Jour2fête



Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…