DVD « Le Règne des assassins »

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Présenté au dernier Festival du film Chinois et récemment sorti en dvd, la dernière réalisation de John Woo. Ou presque.

En sérieuse perte de vitesse à Hollywood, John Woo de retour à Hong Kong avait opéré une spectaculaire résurrection avec sa fresque monumentale Les Trois Royaumes. On attendait dès lors la suite qui arrive enfin avec Le Règne des assassins, mais pour un vrai film de John Woo il faudra cependant encore attendre. Bien qu’il soit très mis en avant par la promotion et son nom porteur, John Woo, crédité en tant que coréalisateur, est surtout producteur et Su Chao-Pin le vrai maître d’œuvre de l’ensemble. Ce dernier s’était surtout lié d’amitié avec John Woo qui décida de produire son projet suivant et il est assez rapidement évident (bien qu’il ait bel et bien dirigé une scène du film mettant en scène sa fille Angeles Woo) qu’il reste peu du réalisateur de The Killer dans l’imagerie et les thèmes du film.

Dans la Chine ancienne, des sectes sont à la recherche de la dépouille d’un moine indien mort il y a plusieurs siècles, censée leur apporter la toute-puissance. Parmi elles, le gang de la Pierre Noire, dirigé par Wheel King (Wang Xue Qi), est une des plus redoutées. Après s’être emparée d’une partie du corps, Drizzle (Kelly Lin), un de ses membres, s’enfuit afin de mener une vie loin des vols et des assassinats. Pour ce faire, elle change d’identité et d’apparence. Mais ses anciens comparses ne l’entendent pas de cette oreille…

Le film renoue avec la tradition du wu xia pian classique dans l’esprit de la Shaw Brothers et où plane l’ombre d’un de ses maîtres, Chu Yuan. A la fin des 70’s, Chu Yuan avait adapté de nombreuses œuvres de l’auteur Gu Long pour la firme qui se caractérisaient par son monde des arts martiaux bariolé et fantaisiste, où des combattants se livraient une guerre sans merci pour déterminer qui était le plus fort. Feuilletonesque et bourré de rebondissements, ces films donnaient un attrait certain à cet univers tout en le remettant en cause lorsque les héros torturés se questionnaient sur la vacuité de cette vie de combat. C’est exactement cet esprit que l’on retrouve ici avec cette tueuse redoutable jouée par Michelle Yeoh qui renonce à ses méfaits et change de visage afin de mener une existence normale. Ayant refait sa vie et s’étant mariée, elle est cependant rattrapée par son ancienne organisation en quête de la relique d’un moine maître des arts martiaux conférant toute puissance à son possesseur.

Le Règne des assassins mêle donc drame complexe et récit serial en diable avec son lot de coups de théâtre inattendus (l’identité et le but du grand méchant superbement incarné par Wang Xue). La facette dramatique est très réussie avec son questionnement sur le pardon, la seconde chance et la culpabilité grâce à la sobre prestation de Michelle Yeoh en tueuse repentie. C’est cette thématique qui maintient l’attention face à une action assez laborieuse dans l’ensemble. Malgré une foule d’ennemis aux caractéristiques potentiellement spectaculaire avec leurs pouvoirs divers (un magicien, un maître de l’acupuncture mortelle) les combats certes efficaces manquent cruellement d’inventivité et d’intensité. Le rythme du film s’en ressent puisqu’ils sont supposés le relancer entre les scènes intimistes dominantes. Les enjeux sont néanmoins très prenants et une révélation finale ajoutera encore en complexité au récit pour une fin assez belle. Si la mise en scène et les combats ne dépassent pas le standard moyen du wu xia pian, l’histoire touchante confère un attrait certain à ce Règne des assassins. En attendant le vrai prochain film de John Woo.


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