DVD : « La Prisonnière Espagnole » de David Mamet

Article écrit par

Un petit bijou manipulateur signé David Mamet.

Du milieu à la fin des années 90, l’interrogation sur la réalité du cadre ou des personnages qui nous entourent semble être un thème de prédilection qui donnera de grands films dans des genres très divers. Cela va de la fable The Truman Show (1998) au thriller Ouvre les yeux (1997), en passant par la SF de Matrix ou le polar culte Usual Suspects. C’est d’ailleurs vers l’horlogerie suisse de Bryan Singer (mais aussi du The Game de David Fincher, sorti la même année) que tend cette Prisonnière Espagnole, un des tout meilleurs films de David Mamet.

Mamet évite volontairement l’esbroufe des films précédemment cités pour faire reposer son intrigue manipulatrice sur sa brillante écriture, qui évoque plutôt un exercice hitchcockien. En effet, l’argument du film a tout du fameux McGuffin si cher au Maître du Suspense, avec un système révolutionnaire dont on ne saura rien si ce n’est l’attention certaine qu’il provoque chez divers êtres peu recommandables. Son créateur Campbell Scott va donc devoir se méfier de tout et de tout le monde lors d’une première partie paranoïaque à souhait, où rien ne semble ce qu’il paraît être, où chaque regard, phrase où élément anodin va se révéler le rouage d’une redoutable machination. David Mamet, qui avait déjà fait montre d’un certain brio pour ce type de récits alambiqués avec son brillant Engrenages (1987), donne ici dans le pur exercice de style où il n’oublie cependant de faire exister ses personnages. On devine ainsi les origines modestes et l’ambition du héros, sur lesquels sauront jouer ses ennemis, Rebecca Pidgeon, qui compose un attachant personnage de secrétaire amoureuse…

L’autre force du film est de ne céder à aucun canon du grand spectacle. L’atmosphère est ici feutrée, amicale (la photo chaleureuse de Gabriel Beristain) et le trouble ne perce que fort discrètement dans les notes de Carter Burwell. En ce sens, Mamet applique avec talent de manière cinématographique le principe de la prisonnière espagnole, vraie et très ancienne méthode d’escroquerie reposant sur la mise en confiance et la création de lien affectif avec la victime. Le film, propret et sans aspérités, ne nous cueille donc que plus brillamment lorsque les éléments du puzzle se dévoilent, bien aidé par le double jeu d’un sacré casting où on trouve notamment Steve Martin, Ben Gazzara ou Ed O’Neill. L’une des grandes réussites de son auteur.

Bonus

Pas grand-chose à se mettre sous la dent hormis une bande annonce, mais ce n’est pas plus mal pour un film où en savoir le moins possible décuple le plaisir.

DVD édité chez Carlotta


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…