DVD « Husbands »

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« Une comédie sur la vie, la mort et la liberté », ou la fuite dans l’ivresse de trois quadragénaires. C’est la première fois que John Cassavetes tourne avec Ben Gazzara et Peter Falk, qui rejoignent dès lors la famille de cinéma rassemblée par le cinéaste.

Husbands s’ouvre sur une succession de photos ensoleillées. Quatre hommes posent, hilares, avec leur femme et leurs enfants, devant une piscine. Des images qui fixent un temps révolu, une famille qu’on ne verra pas réunie. Quand le film commence, ils ne sont plus que trois et s’en vont enterrer dans la grisaille le quatrième de la bande. À l’issue des funérailles, ils ne rentrent pas chez eux. C’est le début d’une longue errance désordonnée qui les mènera jusqu’à Londres.

Archie (Peter Falk), Harry (Ben Gazzara) et Gus (John Cassavetes) sont trois quadragénaires issus de la classe moyenne qui jouent aux sales gosses pour fuir leurs responsabilités, se voiler la face, oublier des inquiétudes plus profondes. « Un besoin terrible, une angoisse. C’est ça qui m’arrive », s’acharne à tenter de décrire Archie. Ils se saoulent à en vomir, finissent terrassés sur le carrelage des toilettes. S’engueulent. Et se relèvent pour reprendre une bière. Le récit de Husbands vogue et titube au gré de leurs divagations éthyliques, ponctuées de bagarres avortées au dernier moment, de phases d’apaisement et de lucidité pathétiques.

Premier film en couleur de John Cassavetes, premier film dans lequel il joue, Husbands est aussi celui dans lequel il met en scène pour la première fois Peter Falk et Ben Gazzara (« Notre amitié est née en créant le film » dira celui-ci), comparses, amis et acteurs fétiches qu’il fera tourner dans ses plus grands films. On ne sait pas très bien où commence le personnage et où s’arrête l’acteur dans Husbands, qui est aussi un grand film sur l’amitié. Tous les trois sont somptueux : Peter Falk, qui s’obstine à se rebiffer et à tenter de mettre des mots sur son malaise. Ben Gazzara, impérial. Et Cassavetes, dont les rires sous cape semblent interrompre de plus sombres préoccupations.

Le regard de Cassavetes sur ses personnages est d’une acuité souvent cruelle, comme dans cette scène de bar copieusement arrosée à la bière, où une femme se fait humilier par les trois hommes, ceux-ci la forçant à reprendre la même chanson. Ou quand, à Londres, ils ramènent trois femmes dans leur chambre d’hôtel, rencontre qui n’aboutit qu’à une immense séquence de malaise. Husbands frappe et dérange par le caractère imprévisible des situations, emmenées par des personnages très volubiles, qui basculent constamment d’un sentiment à l’autre. Quand Harry a envie de crier, il crie, frise l’hystérie, se dit « cinglé » plusieurs fois. Mais ces brusques éclats d’énergie retombent sans cesse. Les personnages s’agitent, s’épuisent, et finissent par se calmer, piteusement. Husbands s’achève ainsi par un retour à la case maison. « I don’t want to go home » martelait pourtant Archie. Au coin de la demeure de Harry trottine une petite fille. Se poursuivra hors-champ une autre histoire : celle de ses retrouvailles avec sa famille, celle que le cinéma américain donnait à voir jusqu’alors, et que Husbands élude pour ne montrer, longuement et avec immodération, que les doutes et les dérives de ces hommes.

Outre la version longue du film, cette édition DVD comporte un documentaire, Anything for John, riche de plusieurs entretiens avec les acteurs – et amis – de Cassavetes : Ben Gazzara et Peter Falk, tous deux décédés il y a peu, Gena Rowlands, sa femme, Lynn Carlin et Seymour Cassel. Peter Falk y raconte combien le tournage de Husbands l’avait ébranlé, notamment parce que Cassavetes « dépouillait les acteurs des mécaniques qu’on utilise d’habitude ». Un témoignage précieux pour comprendre la méthode de travail du cinéaste, et constater à quel point elle influe sur son style : en dire le moins possible sur les personnages aux acteurs et éviter qu’ils ne parodient ce que le réalisateur leur intime de faire, d’où cette impression d’une mise en scène instinctive et spontanée. Peter Falk, rempli d’admiration, décortique la personnalité complexe de Cassavetes, s’élevant contre l’ordre établi mais obéissant à des règles de conduite strictes, à la fois rêveur et âpre négociateur. Des ambivalences que l’on retrouve à travers la place singulière qu’il occupe dans le cinéma américain des années 1960-70, cinéaste en marge des studios, mais travaillant pour eux en tant qu’acteur…

On trouve aussi dans ces bonus DVD le témoignage de Michael Ventura, journaliste invité sur le tournage de Love Streams son dernier film. Il y raconte comment John Cassavetes, très malade, revenait sur son œuvre de façon énigmatique : « Mes films sont comme des soldats qui passent le sommet d’une colline. Les bons, les mauvais, les films de motards, Opening Night, tous mes films : je les vois tous comme des soldats qui passent cette colline. »


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