Joëlle Stockton, une modeste libraire américaine, n’a qu’un seul rêve ; rencontrer son mentor spirituel, le professeur Flostre. L’occasion de se rendre à Paris lui est donnée par une agence de mannequins. Pour cela, Joëlle va devoir laisser de côté ses principes féministes pour accepter de poser pour le plus célèbres des magasines de mode. Sortie en 1957, Drôle de frimousse, est l’un des derniers fleurons musicaux du classicisme hollywoodien, hommage au modèle Warner. Dans la décennie qui suit le musical se voudra plus sérieux, voire même subversif. L’invention formelle de Donen, les inoubliables chansons des frères Gershwin, l’alchimie parfaite entre les trois têtes d’affiche : il ne nous reste plus qu’à entrer dans la grâce.
La superbe chrysalide
Transposition littérale du musical de Broadway crée en 1927, avec Fred et Adèle Astaire, le scénario ne pouvait pas être plus en phase avec la persona d’adorable femme-enfant, maladroite et fragile incarnée par Audrey Hepburn. Après Sabrina et avant Ariane, Audrey apporte toute son charme et sa candeur au mythe éternellement magique de Cendrillon. Dans Drôle de frimousse, la jeune fille fait sa première apparition à l’agence déguisée en pauvre Cendrillon : large jupe, gilet en laine et fichu noir sur la tête; ainsi est accentuée le cocasse décalage entre Joëlle et l’univers de la mode. La métamorphose sera longue et heurtée. Si la beauté est rapidement mise en exergue par les professionnels de la mode, l’élégance qui tient plus de l’attitude, est mise à mal par l’idéologie de Joëlle qui refuse de réduire la féminité à de simples considérations sexistes.
Outre le fait de constituer l’enjeu narratif du récit, l’opposition des points de vue va donner naissance à des numéros musicaux des plus enlevés et savoureux qui soient. La scène de la révélation, où Dick (Fred Astaire) dresse le portrait de sa jolie Funny Face à Joëlle en constitue le plus tendre des exemples. Vous vous en étiez doutés, la jeune femme finit par faire confiance à son entourage et accepter son image. Ce qui permet à Maggie (Kay Thomson) de présenter son modèle à la presse en prononçant ses mots « On a remit entre mes mains pour ma collection, une chrysalide infâme, ce n’est pas un papillon mais un oiseau de paradis que je vous remets. » Joëlle défile en princesse sur la chanson S’Wonder full. C’est le début d’une série de huit scènes qui nous présentent toutes les formes de beauté que le mannequin peut incarner : d’Anna Karénine à la jeune mariée.
Un rêve grandeur nature
Filmée en Vistavision, un format inventé deux ans auparavant par la Paramount, le spectacle brille de mille feux. A commencer par le festival de couleurs qui illumine l’univers de la mode et teinte le récit d’un optimisme communicatif ; impossible de résister à l’invitation lancer par le tourbillonnant Think Pink. Pourtant tournés en extérieur, les incontournables hauts-lieux parisiens (Trocadero, Quartier Latin…) semblent sorties des plus beaux clichés de Richard Avedon, auquel le personnage de Dick Avery fait bien évidemment référence. Partir du réel pour lui redonner le pouvoir enivrant de l’exotisme, c’est croire plus que jamais à la magie du cinéma, dont le genre musical célèbre si magnifiquement les valeurs. L’idyllique scène finale nous invite à continuer le rêve au-delà du happy-end.
En 1957, le rêve est devenu une réalité pour Audrey Hepburn. La jeune fille qui ne se trouvait aucun charme à conquis le cœur du public et de ses partenaires. Les deux pygmalions que sont Fred Astaire et Kay Thomson ont redoublé d’attentions durant le tournage pour laisser s’épanouir leur partenaire débutante. L’élégance légendaire d’un Fred Astaire dans les duos dansés, et les conseils de Kay Thomson pour que la délicate voix d’Audrey soit mise en avant dans les numéros chantés, dans un style parlando, une façon de chanter presque parlée qui consiste à se consacrer essentiellement sur le sens des mots. Dans sa deuxième expérience musicale, My Fair Lady, la star ne bénéficiera pas des mêmes privilèges, puis qu’elle sera doublée pour toutes les chansons. Mais je ne peux que vous inviter à (re)découvrir ce somptueux bijou, au même titre que les grands musicaux abordés dans notre coin du cinéphile.