Contes des chrysanthèmes tardifs (Kenzi Mizoguchi, 1939)

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Mélodrame poignant à l’esthétiqaue soignée, « Contes des chrysanthèmes tardifs » ressort en salles dans une version restaurée.

Contes des chrysanthèmes tardifs est un film rare, long (140 minutes). Sa structure, linéaire, suit la progression chronologique des protagonistes.

La première partie du film nous expose les enjeux de l’intrigue et nous présente longuement les personnages principaux. Kikunosuke est un acteur de théâtre sans talent, mais personne dans sa troupe n’ose le lui dire, car il est le fils d’un grand acteur. Sa popularité est à mettre au seul compte de la réputation de son père. C’est une fille du peuple, Otoku, un « cœur pur », qui lui ouvrira les yeux. « Tu es la première à être franche avec moi », lui répond Kikunosuke au cours d’une séquence marquante : un travelling en plan-séquence de deux, trois minutes, sous la chaleur d’une fin de soirée d’été irradiée par une lumière irréelle. Une relation de confiance et de respect mutuel s’installe entre les deux personnages ; puis, inévitablement, les sentiments s’en mêlent.

La jeune fille fait la jalousie des autres femmes, si bien qu’on lui recommande expressément de quitter la ville. L’histoire d’amour entre Kikunosuke et Otoku apparaît impossible. On retrouve ici un des thèmes directeurs de l’œuvre de Mizoguchi : la difficulté de nouer des relations interpersonnelles, celles-ci étant soumises aux poids des traditions et des normes sociales, qui détruisent et nient toute velléité d’affirmation de l’individu.
Kikunosuke est jugé par la société et accablé par ses propres parents : « Un acteur ne peut ignorer le monde. Il doit être populaire. Il faut qu’on dise du bien de lui. », lui martèle son père. « J’en ai assez de la popularité. Une popularité acquise par moi-même, je l’aimerais. Mais pas celle qui n’est due qu’à mes parents. Je veux voler de mes propres ailes. ». Avoir le courage de se révolter contre les institutions et de vivre sa propre vie : Kikunosuke part à Osaka, seul, et rompt tous liens avec sa famille. Il y a dans cette séquence d’explication entre Kikunosuke et ses parents toute la moelle de la morale profondément individualiste de Mizoguchi.

 

Un an après, à Osaka ; seconde partie du film. Kikunosuke reprend son métier d’acteur auprès de son oncle, qui dirige une troupe de théâtre. Otoku l’a rejoint et se révèle pour lui un guide, un ange gardien même. Elle devient progressivement le personnage central du film.
Les prestations théâtrales de Kikunosuke suscitent évidemment beaucoup moins d’éloge qu’au temps où il était à Tokyo, sous la houlette de son père. Il s’engage dans un théâtre ambulant.

Quatre ans après ; troisième partie du film. Kikunosuke a complètement changé. Personnage désabusé, aigri, désespéré, ses espoirs ont été brisés. La société semble avoir eu raison de cet être finalement fragile. C’est Otoku qui œuvre à son salut : elle négocie pour lui un rôle plus exposé médiatiquement avec leur ancienne troupe d’Osaka. En contrepartie, elle devra, en cas de succès de la pièce, « rendre » Kikunosuke à sa famille.

Dans un final très émouvant, on apprend que les parents de Kikunosuke ont accordé leur pardon à leur fils et sa femme. Otoku, atteinte d’une grave maladie, peut s’en aller en paix, anoblie par son sacrifice pour l’homme qu’elle aura aimé.

Contes des chrysanthèmes tardifs est un mélodrame poignant, à l’esthétique très soignée, appuyée par une maîtrise absolue des espaces. C’est en voyant ce genre de films que l’on se rend compte à quel point Mizoguchi influencera nombre de cinéastes japonais, voire asiatiques : maîtrise de l’espace, transposition à l’écran de « l’esprit » du théâtre kabuki, perfection des plans-séquences, limpidité et force de la structure narrative, diversité des approches esthétiques, faculté à décrire de l’intérieur les drames qui se nouent, point de vue individualiste qui tend paradoxalement à l’universalité… On ne peut qu’être admiratif.

Titre original : Zangiku monogatari

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Durée : 143 mn


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