Ce qui émane de l´amoureux chez Emmanuel Mouret

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Né en 1970 à Marseille, Emmanuel Mouret s´idéalise acteur dès l´adolescence. Il emménage alors à Paris pour suivre des leçons d´art dramatique, avant d´intégrer la Fémis et être formé à la réalisation. Un, deux, trois courts et un moyen-métrage plus tard (Promène-toi donc tout nu, autant film de fin d´études en 1998, que première sortie sur grand écran saluée par la critique en 1999), Emmanuel Mouret émerge de l´anonymat en tant que cinéaste complet – à la fois acteur-scénariste-réalisateur- et s´attire déjà la connivence d´un public féru de cinéma d´auteur.

L’univers Mouret progressivement fleurit. Et quatre longs-métrages voient le jour dans les salles obscures : Laissons Lucie faire (2000), Vénus et Fleur (2003), Changement d’adresse (2006) et Un baiser s’il vous plaît (2007). En 2008, Claire Simon lui propose un rôle dans Les Bureaux de Dieu, où il côtoie, entre autres, Nathalie Baye et Isabelle Carré.

Aujourd’hui, l’aventure continue, et nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec ce cinquième film. Conservant les thèmes fondamentaux qui lui sont si chers, Fais-moi plaisir ! (2009) est la création la plus récréative de l’auteur. Aussi, elle ouvre une nouvelle porte de sa narration sur le conte et les ambiances surréalistes… Une occasion pour le spectateur de se pencher davantage sur l’épaule de cet inventeur sympathique et humble, qui n’a de cesse de nous faire rire et fantasmer.

L’humour et Mouret

Dans Laissons Lucie faire, Lucien n’hésite pas à dissimuler un couteau de boucher dans sa manche et à le brandir aux yeux de Jennifer avec une tête effrayante pour dissiper son hoquet (la scène jouée par Emmanuel Mouret est hilarante !) On pensera immédiatement à Buster Keaton, Jerry Lewis et même Blake Edwards avec The Party, auquel Fais-moi plaisir ! rend largement hommage. Une farce métaphorique de braguette coincée, une électrocution de plusieurs secondes, un dialogue en caleçon avec le Président de la République, c’est parfois ça l’humour de ces films, mais pas seulement.

C’est régulièrement l’alchimie entre le jeu des acteurs, les paroles qui les trahissent et les évènements grotesques qui les animent. Ces derniers sont souvent en rapport avec l’appétit sexuel insatiable des personnages, la tentation des relations adultères et les cachotteries au sein du couple. Ces multiples aventures sont toujours amusantes et intelligentes, parce-qu’elles posent des questions, tour à tour différentes au gré des titres, sur les contradictions du cœur et du corps ou sur le rêve de l’éternelle innocence.

Dans Changement d’adresse, la cohabitation de Anne et David est en soi le déclencheur d’une grande plaisanterie. De quiproquos en scènes coquines improbables, la complicité entre les deux protagonistes nous fait tous sourire. Elle est joliment absurde, il est naïf et gentiment malhabile, leur colocation relève de la connivence, pourtant, nous aimerions volontiers qu’amitié et amour se confondent. Anne et David cherchent ailleurs ce qui est unique entre eux, et ils se trompent, mais qu’importe les erreurs quand dans leur cœur palpite l’indicible pureté…

De Laissons Lucie faire à Fais-moi plaisir !, ce qui ravit encore le spectateur, c’est le comique des situations saugrenues engendrées par des aventures cocasses aux rebondissements imprévus. Car derrière chaque blague de Mouret se cache un peu de tendresse pour ses acteurs et son public.

Jean-Jacques tire les ficelles de l’inénarrable autant que la fermeture éclair de sa braguette. Un rideau coincé dedans, elle crée le ridicule tout en illustrant la métaphore d’un plaisir défendu dont le destin s’acharne à retenir les ardeurs. Le bout de rideau dépassant du pantalon pointe du doigt son obsession sexuel en lui signifiant que c’est parce qu’il n’a pas su patienter durant la matinée qu’il se retrouve avec un petit oiseau de tissu pris au piège et visible pour tous. Puni, comme Pinocchio lorsqu’il ment, mais ici, ce n’est pas son nez qui s’allonge…

Mouret de plaisir

Sans accuser ni juger, Mouret positionne néanmoins le spectateur et ses acteurs sur un fil de funambule. Dans Un baiser s’il vous plaît, les conséquences de plusieurs écarts engendrent la passion qui fait du mal autour de soi et prive, par compassion, les protagonistes d’un bonheur absolu. Mais pas de panique, tout se termine bien. Le trompé, Claudio, retrouve une raison de vivre en la personne de Emilie. Judith s’abandonne alors au bonheur regagné avec Nicolas car elle a maintenant la conscience tranquille. Quant à Emilie et Gabriel, tous deux s’octroient l’inoubliable beauté d’un baiser frissonnant.

Cela dit, la notion de fantasme chez Mouret ne se contente pas de montrer la sensualité et les relations infidèles. Elle dépeint aussi un univers où les conséquences des actes seraient moins sévères que dans la vie réelle, où le quotidien ne serait pas routinier mais parsemé de péripéties loufoques et de ricochets intrigants. Dans ce pays où l’on s’accommoderait de petits désagréments reliés à la tromperie, où la cruauté ne parviendrait pas à quitter la sève des amoureux, Mouret invente des variations autour de ses sujets de prédilection.

Lorsque le ton est davantage dans le discours et la signification, quand l’auteur frôle la gravité, avec Vénus et Fleur et Un baiser s’il vous plaît, il se place en retrait, au second plan. Quasiment invisible dans Vénus et Fleur, plus singulier que le reste de sa filmographie, c’est à la manière d’un Rohmer qu’il croise les chemins de deux adolescentes vivant délicatement les découvertes amoureuses et charnelles. Dans Un baiser s’il vous plaît, Mouret est revenu, mais est une pièce rapportée, le fruit d’un souvenir dont l’anecdote est racontée par le tandem Julie Gayet/Michaël Cohen. L’érotisme, la confusion amour-amitié et la notion de danger sont encore abordés, mais sous un angle différent, toujours.

Ainsi, l’amoureux insatiable, perpétuel soupirant aux occasions sensationnelles – plusieurs demoiselles affriolantes par film sont à sa portée, (jusqu’à trois dans Fais-moi plaisir !) –, explore-t-il les innombrables facettes des sentiments essentiels sans lesquels la vie n’aurait aucune saveur. Chez Mouret, les perpétuels balancements sentimentaux sont perçus comme un jeu, un jeu dangereux certes, mais tellement plus palpitant quand on a le cœur gros. D’ailleurs, il faut avoir été fou pour devenir sage. Et pourvu que ça dure longtemps parce que, tout comme Mouret, nous n’avons pas envie que ça s’arrête. Le cinéma, confie-t-il : « c’est un peu plus que la vie ». Tant mieux ! Plus inventif et plus permissif, plus idéaliste et plus onirique, il n’est aucune joie dont nous sommes privés. Jamais vulgaire, l’érotisme est pur, se préfère suggéré que montré, et si la nudité nous est dévoilée, c’est  sans pudeur inutile, tel un sentiment fort soudainement avoué.

Le manuel d’Emmanuel

On reconnaît désormais sa pâte. Le ton enjoué du marivaudage, un attachement à la sobriété de la mise en scène, des décors désormais chiadés, une bande son souvent classique, jazz ou populaire, des paysages ensoleillés de Marseille, des intérieurs parisiens cossus, des sujets prépondérants sans cesse revisités… et j’oubliais Emmanuel Mouret lui-même, entouré de femmes, of course.

Quant aux influences, elles sont légions. Une pincée de Harold Lloyd, la franchise et l’espièglerie propre à Tati, un clin d’œil à Guitry, Truffaut, et évidemment, un parallèle avec Woody Allen, dont Mouret est fan. Ironie, entente avec le spectateur, autodérision sur sa personne, comédie, élégance, modestie, sincérité, charme, traits d’esprit, suspense, un peu de cruauté, du désir partout, la maladresse, la séduction, la candeur, l’excitation, l’aventure, la frustration, le libertinage… Voici le savant cocktail dont use Mouret pour nous divertir. Et s’il est, excepté Vénus et Fleur, toujours le comédien central de ses œuvres, c’est pour mieux nous chuchoter à l’oreille et créer l’intimité. Attendrissant par sa sincérité, ses prestations sont la caricature du gentil jeune homme de bonne famille, bourgeois sans prétention, professeur de musique ou de mathématique, inventeur ou faux oisif , apprenti agent secret. Clownesque et ingénu, sans douleurs existentielles autres que celles de sa condition d’adulte et ses besoins d’affection.

Séducteur malgré-lui, un peu dépassé par la vie et la gravité qu’on lui prête, il cherche en l’âme sœur le réconfort nécessaire à son épanouissement. La notion d’engagement est alors mise en branle, notamment dans Promène-toi donc tout nu, où Stéphanie menace de quitter Clément si il ne prend pas la décision de s’installer avec elle. Point d’ancrage de la narration, refuser de prendre ses responsabilités produit des incidents de parcours inopinés, propres au monde de la puberté. Ainsi, le réalisateur met en avant l’hésitation de ses héros, entre vie mouvementée mais audacieuse et vie plus rassurante faite de privations. En effet, assumer les flirts extraconjugaux est de plus en plus lourd de sanctions dans l’univers de Mouret.

Avec Fais-moi plaisir !, Jean-Jacques est pris à son propre piège, victime de sa négligence et de sa passivité. En outre, c’est Ariane qui lui dicte la conduite à suivre. Il ira donc à la rencontre de Elisabeth, la fille du président, et plus si affinités. Ses défauts sont de faire preuve de faiblesse et de manque de caractère. Toujours légèrement immatures, affectivement parlant, Jean-Jacques ou Lucien subissent les faits plus qu’ils ne les maîtrisent. Ariane, elle, assume ses folies. D’un autre côté, elle le teste. Sa présence/absence pendant le déroulement de cette nuit peu banale est représentée par ce rideau sottement coincé dans sa fermeture à glissière. Fil conducteur et fil d’Ariane, tout est alors plein de références. La figure de Dieu (le président), la figure du Diable et la tentation avec le serpent domestique de Elisabeth, la porte ouverte au compte pour enfants (la soubrette en Cendrillon qui lui rafistole son pantalon, toutes ses sœurs rappelant Le Petit Poucet…) Comme les scénarii-valises ou les évènements parallèles – histoires dans lesquelles les comédiens racontent d’autres histoires – le monde de l’enfance permet un total détachement du réel et une entrée de plain pied dans l’imaginaire de Mouret.

On remarquera aussi le casting toujours justifié qui n’a de cesse de régaler le spectateur. Quoi de plus naturel, pour Mouret , que d’avoir une muse avec laquelle s’amuser. Depuis Changement d’adresse, Frédérique Bel, à l’instar de Scarlett Johanson pour Allen, illustre la douce complémentarité tant recherchée. De Changement d’adresse à Fais-moi plaisir, voici trois films où la Bel et le Mouret se donnent la réplique avec tendresse et compérage. Elle est si blonde, il est si brun, ils portent tous deux un prénom mixte et forment le duo parfait, entre grâce et crédulité, à la fois meilleurs amis et amants…

Pour la relance de la narration, il faut des concurrentes à la hauteur. Que de belles créatures donc, aux rôles nuancés, tantôt de jeunes femmes calmes, taciturnes et un rien mystérieuses (Fanny Valette dans Changement d’adresse, Deborah François dans Fais-moi plaisir !), tantôt fraîches et pétillantes (Judith Godrèche dans Fais-moi plaisir !, Marie Gilain dans Laissons Lucie faire), tantôt élégantes et raffinées (Julie Gayet, Virginie Ledoyen dans Un baiser s’il vous plaît), enfin, toutes incroyablement sexy.

Quant aux rôles masculins, même combat de séduction ! Emmanuel Mouret lui-même (diction hésitante et pitreries, si joyeux de s’auto-filmer avec dérision au milieu de belles partenaires avec lesquelles il est difficile de conclure).
Danny Brillant (Changement d’adresse, Fais-moi plaisir). Viril, jaloux, le concurrent cruel, mais cruel uniquement parce-que secoué par la passion amoureuse.
Michaël Cohen (Un baiser s’il vous plaît), le voleur de baisers, séducteur aussi affable que respectueux.
Stefano Accorsi (Un baiser s’il vous plaît) le trompé par deux fois, qui exceptionnellement prend la place de la victime réservée habituellement à Mouret.
Jacques Weber, la figure paternelle approchée, qui dans Fais-moi plaisir ! impose le respect en Président de la République, décontracté en surface, mais dont l’autorité transpire.

Dans Laissons Lucie faire, le visage paternel est encore plus limpide. Le père de Lucien pense bientôt lui couper les vivres. Certes, rien ne presse, mais il faut y songer car l’âge de devenir un homme est déjà passé et il sera bientôt temps de se consacrer aux inconvénients de la liberté.

Le père, ou la mère (la femme en couple sentimentalement plus mature que lui) présentent au héros la notion de choix sérieux et importants. Dès lors, Lucie attendra une totale franchise de la part de Lucien, au sein de leur couple. Lui doit faire front et être un peu moins engoncé dans ses attitudes gauches. Qu’il devienne moins charlot, moins insouciant, c’est ce que veulent les grandes personnes. Cela signifie être droit, choisir ce métier plutôt que celui-ci, cette femme au détriment de celle-là, abandonner l’idée de marier sa frivolité avec les choses raisonnables de la vie, qui à ce niveau paraissent incompatibles…

Mais Mouret soulève une dernière question, peut-être celle qui parle le plus de l’homme derrière le réalisateur. Est-il nécessaire de choisir de façon si tranchée ? Voyez, nous glisse-t-il dans le creux du cou, on peut être acteur et réalisateur de sa propre vie sans perdre ni son âme ni ses rêves, au contraire, il faut s’en servir et devenir tout à fait soi pour être heureux. Pour être heureux, ne vivons plus caché. Ça, Emmanuel Mouret nous le prouve, subtilement, avec brio et, en plus de rire à gorge déployée, nous sommes enchantés.
 


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