« La plus belle star de cinéma de son époque »
Originaire d’une famille bourgeoise juive autrichienne, Hedwig Eva Marie Kiesler grandit d’abord loin d’Hollywood, au cœur d’une Europe au bord de la bascule avec la montée rapide du nazisme. D’une beauté telle qu’on la pousse à faire du cinéma, la future star sera à l’affiche, dans la maudite année 1933, d’un film érotique sulfureux pour l’époque, Exstase, de Gustav Machaty, mettant en scène une séquence d’orgasme féminin qui fera scandale. Cette performance (dont on découvre dans le film les ressorts de manipulation à son origine, qui seront d’autant plus appréciés en ce temps « post-Weinstein »…) marquera sa carrière comme une sangsue, tout au long de sa vie. A cette époque, l’actrice débutante est l’objet d’un mariage arrangé avec un influent et riche industriel autrichien, fabriquant d’armes et fasciste notoire. Elle fuira ce contexte peu de temps après, sentant l’animosité qui menace alors, déguisée, dira-t-on, en femme de chambre, après avoir endormi celle de sa maison à l’aide d’un somnifère. Là encore, le détournement d’identité est de mise et révèle les ressources de celle que l’on voudra réduire à son seul physique. L’actrice gagnera ensuite les Etats-Unis par Londres, puis Hollywood avant d’être bientôt renommée « Hedy Lamarr » par le grand producteur Louis. B Mayer et de décrocher son premier rôle dans un film américain. Très vite elle enchaînera les rôles, son charme la reléguant à des rôles de séductrices exotiques et assez souvent potiches.
« Any girl can look glamorous, all she has to do is stand still and look stupid »
Loin de l’Europe en guerre, Alexandra Dean met rapidement en parallèle le développement d’Hedy Lamarr en objet de fantasme du grand écran américain, avec sa personnalité inventive avide de réalisations scientifiques. On apprend ainsi que, par le biais d’Howard Hugues, elle rencontrera des chercheurs pharmaceutiques aux côtés desquels elle contribuera à créer une pilule capable de se dissoudre dans l’eau (future Alka Seltzer). Elle ira plus loin, pensant, en ces temps de guerre, à un système de communication secret capable de guider une torpille. L’actrice élaborera un système de codage de transmissions qui mènera à la création du GPS et à l’ancêtre du Wifi. Un brevet est déposé en 1942 devant la marine américaine. Abandonné, il ne refera surface que lors de la crise des missiles de Cuba…Il faudra attendre plusieurs décennies avant qu’un ancien militaire reconverti en entrepreneur retrouve la trace du brevet et face le lien avec l’actrice. Un « major inventing award » lui sera attribué sur le tard et réceptionné…par son fils. Cette facette, vraisemblablement constituante d’Hedy Lamarr mis en avant dans le film révèle les biais de l’époque dont elle aura souffert, et la difficulté pour l’actrice d’avoir l’opportunité de construire une carrière autre que celle que l’industrie avait prévu pour elle. « Any girl can look glamourous, all she has to do is stand still and look stupid. » dira-t-elle, avisée du monde dans lequel elle gravite. Avoir l’air glamour et stupide à la fois, un rôle qu’aura endossé Hedy Lamarr, sans s’y soustraire, mais en en payant le malentendu, la domination structurelle. C’est tout l’intérêt et l’amertume que soulève ce documentaire biographique de facture tout à fait classique : montrer la séparation d’une femme en deux, sa forme d’aliénation de genre, pour avoir voulu bien autre chose qu’une assignation de genre et de beauté.