Ayant malgré tout eu la force de vivre la sortie de son ultime film << Crime d´amour >>, Alain Corneau nous a quittés cette semaine, il avait 67 ans.
Alain Corneau est un artiste complet qui aura su faire de sa filmographie un reflet de toutes ses passions. Cette ouverture se révèlera au fil des années et Corneau se plaira à dérouter en dévoilant toujours une nouvelle facette plus étonnante.
Féru de culture américaine populaire que ce soit musicale (il a une formation musicale de jazz), littéraire ou cinématographique à travers le roman et le film noir, c’est par ce biais qu’il se révèle au grand public. Après le maladroit galop d’essai France Société Anonyme (qui mélangeait rien de moins que polar et SF utopiste), Alain Corneau s’affirme comme un maître du polar à l’identité personnelle, à travers la puissance dramatique de Police Python 357, la noirceur de La Menace et la descente aux enfers de Série noire. Ce dernier, adaptation de Jim Thomson que Corneau aura su s’approprier tout en en respectant l’esprit, offrait une des interprétations les plus incandescentes de Patrick Dewaere. Probablement le meilleur film de son auteur qui par la suite brouillera les pistes et ne reviendra au polar pur et dur que par intermittence comme le formidable Le Cousin et le plus mitigé remake du Deuxième Souffle. Cet avant-dernier film montrait la curiosité intacte du réalisateur qui, loin de se reposer sur ses lauriers et son savoir-faire, osait les expérimentations visuelles inspirées du cinéma de Johnnie To et Wong Kar Wai.
L’ouverture sur l’autre, le souffle du voyage étaient l’autre grande affaire de Corneau. C’est par la grande fresque Fort Saganne (à l’époque plus gros budget du cinéma français) qu’il s’émancipe une première fois du polar. C’est cependant avec le magnifique et plus libre Nocturne Indien que Corneau exprime son attrait pour l’ailleurs, à travers la belle errance de Jean Hugues Anglade. Dès son premier court métrage Le Jazz est-il dans Harlem ?, la musique a imprégné le cinéma de Corneau. C’est par elle qu’il obtiendra de manière inattendue son plus grand succès commercial avec le pourtant très austère (à la manière du roman de Pascal Quignard) Tous les matins du monde, biographie du musicien Marin Marais qui révéla Guillaume Depardieu. Dans une veine plus nostalgique et semi-autobiographique Le Nouveau Monde, récit de la découverte fantasmée du jeune Corneau de la culture anglo-saxonne était également une œuvre très attachante.
C’est cette pluralité qui rendait Alain Corneau si précieux, passionnant d’érudition en bonus dvd de classiques policiers, puis de s’embarquer ensuite au Japon pour Stupeurs et Tremblements, avec les mêmes enthousiasmes et curiosités. Qu’importe les quelques ratages (Le Môme, Le Prince du Pacifique) dus à une volonté de s’essayer à tout, après la disparition de Bernard Giraudeau, c’est un des grands aventuriers du cinéma français qui nous quitte.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…