Le réalisateur poursuit avec Absent son détournement des genres en passant le thriller à la moulinette. Les codes étant plus spécifiques, le choix n’en est que plus risqué. Si le sexe et la violence sont souvent au cœur du genre (Basic Instinct de Paul Verhoeven en était la cristallisation il y a une vingtaine d’années), Berger évacue entièrement la pulsion criminelle pour se concentrer sur ce qui semble être sa grande affaire : la naissance et la mise en scène du désir. En termes d’intrigue, Absent semble plutôt éloigné du thriller pour se rapprocher de la comédie dramatique ou de mœurs : le jeune Martin est très attiré par l’un de ses professeurs et fait tout pour se faire inviter chez lui le temps d’une nuit, dans l’espoir d’arriver à le troubler. Le film avance ainsi entre spectre du détournement de mineur et désirs inavoués.

« Je ne sais pas si ce livre m’a plu. L’histoire est bonne mais ça part un peu dans tous les sens. Ca ne raconte pas ce que je voudrais. »
Cette phrase prononcée par l’un des personnages secondaires est symptomatique du film : Absent n’est jamais là où on l’attend. Flirtant avec le thriller, il l’évide de sa dimension criminelle et, jouant avec le désir, il tue celui-ci dans l’œuf. Marco Berger refuse les voies toutes tracées pour dessiner ses propres itinéraires. A ce titre, il évite d’ailleurs avec une aisance déconcertante des facilités scénaristiques pourtant tout à fait acceptables. De la même manière que dans Plan B, le réalisateur montre un talent rare pour installer des situations et mettre en image des sentiments. Ses films semblent définir un temps pris avec les personnages : les scènes sont souvent longues dans un cadre peu mobile à même de laisser émerger à l’écran des changements subtils, des variations d’attitudes, des croisements de regards… Autant d’éléments que seules l’observation et l’installation dans la durée peuvent faire naître.

Dommage alors qu’Absent ne tienne complètement ses promesses. Si le virage narratif de la seconde partie est négocié avec brio et la répétition inversée des scènes – procédé au combien casse-gueule – finement menée, son finale est largement biaisé par des choix musicaux en rupture totale avec le ton du film. En lieu et place de la douceur et de la mélancolie sans doute souhaitée par le réalisateur, c’est au contraire un affadissement, voire une discréditation qu’ils apportent à Absent. Reste que, délibérément en marge de la nouvelle vague argentine (Pablo Trapero, Lisandro Alonso, Lucrecia Martel…), Marco Berger confirme avec sa seconde réalisation un réel talent de construction et de transcription des situations, une volonté de partager un temps avec les personnages à l’opposé de toute démonstration outrancière de puissance et d’efficacité. Un talent qu’il faudra sans doute suivre de près.
(1) Les films de Michael Bay, entre autres, en sont un bon exemple. Dans Transformers 3, malgré un statut social élevé, l’héroïne ne dépasse pas le cadre d’ombre de personnage tout juste bonne à courir derrière le héros en offrant à la caméra ses formes rebondies. Sa première apparition à l’écran est symptomatique de ce qu’on peut attendre d’une femme dans ce type de cinéma : en culotte, portant à moitié boutonnée la chemise de son homme et un gros lapin en peluche dans les bras.