Wonder Wheel

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Le rêve américain devient tragédie et Coney Island la scène du drame.

C’est l’histoire d’une femme qui rêve de devenir actrice et qui termine serveuse à la fête foraine de Coney Island, avec un mari beauf et violent, ainsi qu’un garçon pyromane. On connaît tous cette histoire, envers de l’American Dream. Et pourtant, avec Wonder Wheel, Woody Allen lui confère une autre dimension, en la révélant pour ce qu’elle est : une tragédie digne de la Grèce antique.

Eschyle à Hollywood

Mickey (Justin Timberlake) l’annonce d’emblée : en dépit de la fête environnante, cette histoire sera fatale. Sauveteur en mer l’été, étudiant en maîtrise de théâtre européen le reste du temps, le jeune homme paraît un double du réalisateur. Comme lui, il s’amuse à disposer les personnages, mettre en place les décors propices à l’effusion des sentiments et, surtout, à provoquer les situations les plus mélodramatiques : amant de Ginny (Kate Winslet), femme au second mariage malheureux avec le pathétique Humpty (James Belushi), il lorgne également sur Carolina (Juno Temple), la fille de ce dernier, réfugiée chez son père pour échapper aux hommes de main de son gangster de mari…

Néanmoins, le personnage-narrateur de Mickey n’a rien d’omniscient. À l’heure où Woody Allen subit à nouveau une tourmente médiatique en raison de la sombre histoire de pédophilie incestueuse dans laquelle il trempe, au moins délègue-t-il pour ce film la conduite du récit à une éclatante Kate Winslet.

C’est elle qui est véritablement le cœur du film. Tour à tour amante passionnée, mégère aigrie, mère désespérée et comédienne nostalgique, elle déploie toute la gamme du jeu d’acteur hollywoodien. Peut-être faut-il voir dans son visage versatile la « Wonder Wheel » du titre, celle qui ouvre le film : pareille à une lente roue du Destin, sa figure passe successivement d’émotions en émotions, avançant inexorablement vers sa chute prochaine…

 


Entre Destin et libre-arbitre

Car du Destin, il est bien question ici. Chose curieuse dans le cinéma hollywoodien, plus prompt à mettre en valeur le libre-arbitre que l’antique divinité. Ginny relève cette présence incongrue dans une culture des plus individualistes, lorsqu’elle s’ouvre à Mickey : « Est-ce la fatalité ou la faute qui provoque la fibre tragique ? »

Les deux, serait-on tenté de lui répondre. Car ce qu’a de curieux Wonder Wheel est la conscience que les personnages ont d’être des personnages. Sans aller jusqu’à la distanciation chère à Brecht, Ginny se lamente d’être « condamnée à jouer un rôle qui n’est pas le sien ». Comme si les personnages se retrouvaient coincés dans une grande roue, qui leur assignerait régulièrement de nouveaux rôles avec lesquels se débrouiller, sans avoir le choix de l’emploi…

Cependant, Allen apporte une brève lueur d’espoir dans ce tableau maussade. Et des lueurs, il y en a à foison. Il faut saluer le travail remarquable du chef-opérateur Vittorio Storaro (déjà présent pour Café Society – 2016), dont les lumières alternent, en écho aux émotions des personnages, entre la féérie dorée et la grisaille quotidienne. Comme si une brèche s’ouvrait vers un ailleurs fantasmé – Bora-Bora, l’Europe, la scène – pour mieux se refermer aussitôt. Et sublimer, au lieu de dénigrer, celles et ceux qui s’accrochent au décevant rêve américain.

 

Titre original : Wonder Wheel

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Durée : 101 mn


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