Valley of Love

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Trente-cinq ans après Loulou », Huppert et Depardieu réunis dans un road-movie métaphysique et fasciné par les mises en abyme. »

Dans la Vallée de la mort, il fait chaud à crever : “Oh putain la chaleur”, dit Depardieu à Huppert – ou Gérard à Isabelle ? – en guise d’introduction. Elle vient d’arriver dans le motel, il est là depuis quelques heures, ils ne se sont pas vus depuis des années. Ils sont en Californie à la demande de leur fils mort, qui s’est suicidé il y a des mois à San Francisco mais qui leur assure, dans une lettre envoyée à chacun, qu’il va “revenir”, qu’il leur faut être présent dans tel lieu, à telle date et telle heure. Pitch mystique s’il en est mais sur lequel Valley of Love ne fait finalement que semblant de reposer, le prétexte étant bien sûr de réunir Isabelle Huppert et Gérard Depardieu sous ses yeux de cinéaste enamouré, et nos yeux de spectacteurs ébahis. Et il faut le dire, les retrouvailles sont souvent assez bouleversantes – les deux acteurs n’avaient pas formé un couple à l’écran depuis Loulou de Pialat, en 1980. Lui pantagruesque, elle souris (– “T’as l’air bien” – “J’ai grossi” – “Si tu te sens bien comme ça” – “Comment tu veux que je me sente bien comme ça?”), la moindre embrassade émeut comme si eux deux étaient une évidence, comme le souvenir qu’on garde de tous les films qu’ils n’ont pas faits ensemble.

Il y a un certain effet de drague, pas loin du bling-bling, à les rapprocher ainsi, d’autant plus que Guillaume Nicloux (dont on n’aimait pas beaucoup la filmographie jusqu’ici) n’y va pas de main morte : Huppert s’appelle Isabelle et Depardieu Gérard, ils sont tous deux acteurs, il vient de Châteauroux – “do you know Châteauroux?” demande-t-il à des clients de l’hôtel qui leur demandent à l’instant “Who is more famous in France ?” Il y a là matière à s’amuser, matière pour eux à cabotiner aussi, et il faut vraiment leur extraordinaire talent d’incarnation (ils pourraient lire une liste de courses que ce serait renversant) pour que certaines scènes ne tournent pas au grotesque. La difficulté tient sans doute de la longueur : si l’exercice d’admiration fonctionne à plein sur la brièveté, il peine à faire se déployer autre chose sur la durée. On se souvient des merveilleuses retrouvailles, déjà, de Depardieu et Adjani dans Mammuth (Gustave Kervern et Benoît Delépine, 2010), où les deux comédiens, le temps d’une séquence onirique, imprimaient au film le spectre de leur splendeur passée. Dans Valley of Love, Nicloux étire son effet tout du long, demandant une constante fascination pour son duo de cinéma.

C’est, peut-être, qu’il ne cherche pas à faire autre chose que cela : confronter à nouveau ces corps de cinéma lui suffit. Des corps qui ont changé – grossi ou vieilli – et que l’on scrute sous une lumière aveuglante, dans un cagnard qui n’en finit pas et qui assomme le film autant qu’il assomme Isabelle et Gérard. Depardieu passe d’ailleurs son temps en slip, avec “les pieds comme des steaks”, et il y a une singulière émotion à le voir s’exhiber ainsi, comme si Valley of Love interrogeait la direction qu’avaient pris nos légendes, ce qu’elles sont devenues. Il faudrait à ces deux immenses comédiens un peu mieux que des dialogues écrits de manière approximative et un road movie métaphysique, qui ne sait d’ailleurs pas très bien sur quel pied danser entre cartésianisme et crédulité tous azimuts. En l’état, il faut se contenter de les admirer et, s’il distille bien une mystérieuse beauté, il y a quelque chose d’un peu triste à penser le monument qu’aurait pu être Valley of Love si Nicloux ne s’était pas contenté de simplement les placer sur un piédestal.

Titre original : Valley of Love

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Durée : 92 mn


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