Un coeur invaincu

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Karachi, janvier 2002. Daniel Pearl, journaliste au Wall Street Journal, mène une dernière investigation avant de retourner chez lui avec sa femme. Le 23 janvier, il part interviewer un informateur mystérieux qui pourrait lui livrer des renseignements sur Richard Reid, « le terroriste aux semelles explosives ». Depuis ce jour, Marianne Pearl, qui a donné […]

Karachi, janvier 2002. Daniel Pearl, journaliste au Wall Street Journal, mène une dernière investigation avant de retourner chez lui avec sa femme. Le 23 janvier, il part interviewer un informateur mystérieux qui pourrait lui livrer des renseignements sur Richard Reid, « le terroriste aux semelles explosives ». Depuis ce jour, Marianne Pearl, qui a donné naissance à Adam entre temps, n’a plus jamais revu son mari.

Michael Winterbottom, très prolifique et éclectique réalisateur britannique, livre une enquête, fenêtre ouverte sur le monde contemporain à la réalisation ambitieuse et aux propos terrifiants. Ni chef d’œuvre, ni film engagé, Un cœur invaincu est plutôt un film « aide-mémoire » émouvant sur Daniel Pearl, devenu l’emblème d’une cause : la mort des journalistes dans l’exercice de leur métier.

Filmé caméra à l’épaule au Pakistan, au cœur des lieux de la tragédie, le spectateur pénètre au cœur du film comme témoin et participe aux progressions de l’enquête. On s’intègre aux réflexions apportées par les officiers américains et pakistanais ; on suit les perquisitions dans les maisons des suspects et leurs interrogatoires dans les prisons. On est aussi face à l’horreur : l’absence de réactions des habitants de Karachi lors des arrestations des suspects en pleine rue ; vidéos de la décapitation de Daniel Pearl. Bref, la reconstitution est impeccable et terrifiante à la fois, tous les acteurs fournissant un énorme travail d’authenticité qui contribuent à cet exigence de réalisme. Saluons d’ailleurs l’interprétation de Angelina Jolie méconnaissable, sobre et juste.

Derrière une intention de neutralité, on perçoit un parti pris fébrile et inabouti qui instaure une distance avec le sujet et les personnages. Pourtant, les premières images de la destruction des tours du World Trade Center ne faisaient aucun doute sur le point de vue américain. Projetées avec la voix-off de Marianne Pearl, relatant les propos des intégristes musulmans qui ont attribués ces attaques aux milliers de juifs, elles imposent d’emblée une opinion. Mais le réalisateur ne va pas plus loin ou plutôt minimise son engagement, peut-être par peur et par respect pour Daniel Pearl. Il se contente de retracer les faits. Mais le choix de cette réalisation n’est-elle pas déjà un engagement ? Cette dualité entre respect de la pudeur et besoin d’action afin de faire avancer l’enquête est perceptible dans la réalisation. Elle alterne plans serrés, au coude à coude avec les protagonistes et les plans larges, comme reculant devant la tâche. En résumé, chaque détail de ce film, ancré dans une réalité brûlante, tisse des sous-entendus les uns après les autres et révèle la complexité de traitement de ce sujet. Comment trouver un juste milieu pour retranscrire une histoire aussi complexe et délicate ? Comment ne pas tomber dans la voyeurisme ni dans le pathos vulgaire tout en étant vrai ?

Autre difficulté : Marianne Pearl. On aurait aimé que Michael Winterbottom s’attarde sur le ressenti de cette femme.
Marianne Pearl qui a écrit le livre éponyme et dont le monde entier connaît le courage, le sang froid et la sobriété face au terrorisme, manque d’épaisseur. Son portrait aurait du être détaillé et nuancé pour saisir sa force mentale et saluer son courage. A contrario, on ressent plus d’antipathie que de compassion. Comme les personnages du film, on est troublé par cette solidité psychologique. Ainsi, le film fait avant tout l’apologie du courage et de la résistance face à la barbarie. Malheureusement, on ne ressent pas la douleur viscérale et l’inquiétude qui ont été vécues. Il faut attendre une des dernières scènes pour nous glacer le sang et enfin ressentir l’horreur infligée à cette femme et l’admirer. A la suite de l’annonce de la mort de son mari, Marianne Pearl, extatique, court se réfugier dans sa chambre, criant ou plutôt déversant toute la détresse mêlée à la haine et à l’espoir qu’elle avait réfugiés en elle.

Un cœur invaincu fut réalisé en hommage à Daniel Pearl mais pas seulement. Il est aussi l’horrible constat de notre monde entré dans l’ère du terrorisme et des menaces perpétuelles. La difficulté d’objectivité face à ce sujet a fragilisé l’engagement de Michael Winterbottom et par la même occasion notre regard. Un cœur invaincu n’est reste pas moins un film émouvant, terrifiant et captivant.

Titre original : A Mighty Heart

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Durée : 100 mn


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