True mothers

Article écrit par

Naomi Kawase revient avec sa tendresse coutumière sur l’adoption au Japon.

A la lisière entre fiction et documentaire

Depuis La forêt de Mogari, grand prix au festival de Cannes 2007, et même avant, on ne présente plus Naomi Kawase. Son cinéma fascine par sa lumière, ses couleurs au plus près de la vérité et par sa description tendre et empathique de la Nature. Dans son nouveau film, True mothers, elle aborde un sujet encore plus tabou au Japon qu’en Europe : l’adoption en trouvant les mots et les dialogues pour décrire une situation dramatique. Et pour ce faire, elle va baser son film sur la lisière entre fiction et documentaire. Ce mélange est l’un des thèmes les plus passionnants du cinéma, et de plus en plus de réalisateurs s’emploient à le mettre en image. Naomi Kawase en est bien consciente, et c’est ainsi qu’elle le définit dans l’entretien du dossier de presse du film : « Le sujet de la fiction et du documentaire intéressait beaucoup de journalistes. Dans la scène de la fête d’anniversaire, on voit une documentariste qui filme. On voit son ombre. Les journalistes japonais ont dit : L’ombre, c’est vous évidemment. Je me place comme la réalisatrice de ce film de fiction, mais également comme celle du documentaire à l’intérieur de ce film. »

 

Filmer la nature

Pour ce faire, la réalisatrice a quitté un peu la nature qu’elle aime par-dessus tout filmer, notamment en tentant d’opposer dans sa narration deux mondes. Le couple qui désire adopter tout d’abord, qui vit dans une partie très moderne de Tokyo. Elle a en effet filmé ces scènes dans ce qui va devenir très prochainement le village olympique et qu’on découvre dès qu’on se pose à l’aéroport international de Tokyo. Par opposition, elle filme aussi l’île d’Hiroshima où les jeunes filles enceintes sont isolées dans une maison qui les accueille le temps de leur grossesse, le temps qu’elles accouchent et donnent leur bébé à une famille en demande. Cette île, c’est à la fois leur port d’attache et leur détachement du monde des adultes. « Lors de mon travail de repérages, en cherchant mon île pour le tournage, déclare Naomi Kawase dans le dossier de presse, j’ai beaucoup étudié les histoires de ces lieux. Il se trouve que pendant la guerre, cette île était utilisée comme camp de prisonniers. Aujourd’hui des institutions pour des enfants maltraités ont choisi de s’y installer. Cette île est une sorte de refuge pour les exclus, les exilés. C’est un peu comme les exilées de mon film, ces adolescentes, qui s’apprêtent à être mères, sont envoyées là le temps de leur grossesse. Elles sont exclues de la société. Pour mieux faire ressentir à quel point la société ne veut pas d’elles. Une île, territoire forcément isolé, caché, me semblait idéal. »

La lumière et les mains

Enfin, ce qui est frappant aussi dans ce film, c’est bien sûr la beauté des images, mais par-dessus tout la lumière que l’on doit à Yuta Tsukinaga et Naoki Sakakibara, son côté à la fois magique et pacificateur, comme si les hommes à cause de leurs discordes et de leurs oppositions avaient trop tendance à oublier la beauté du monde dans lequel ils ont la chance de vivre et de s’aimer. Cette lumière, c’est un peu une ode à la vie, une sorte de halo qui protège et révèle les âmes. Et c’est ici qu’on retrouve bien sûr la Naomi Kawase de chefs d’œuvre comme Les délices de Tokyo (2015) et Vers la lumière (2017). De ce dernier film, on retrouve d’ailleurs le jeu de ces mains qui se tendent et se rejoignent, contrairement aux moeurs très pudiques du Japon.

Titre original : Asa ga kuru

Réalisateur :

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 140 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…