Une femme seule au téléphone
On ne présente plus Steve Buscemi qui a traversé depuis presque quarante ans le cinéma indépendant américain. On l’a vu en effet dans les films de Joel et Ethan Coen (Miller’s Crossing, Barton Fink, Le Grand Saut, Fargo et The Big Lebowski), Quentin Tarantino (Reservoir Dogs, Pulp Fiction) et il est apparu dans les films Mystery Train, Big Fish, The Island et La Mort de Staline, entre autres. On peut le voir aussi dans des séries telles que Les Soprano, pour laquelle il a été nommé aux Emmy® et aux DGA Awards. En tant que réalisateur, il a dirigé les longs métrages Trees Lounge, Animal Factory, Interview et Lonesome Jim. The Listener est donc son cinquième long-métrage et, à une époque où les films de super-héros ont le vent en poupe, il fallait du courage pour filmer une femme seule qui, la nuit, répond aux nombreux appels téléphoniques venant de toute l’Amérique et auxquels elle doit apporter une réponse à la fois réconfortante et sans aucune référence à sa propre vie.
Neutralité bienveillante
C’est donc un film sur la neutralité bienveillante chère aux psychanalystes et il repose entièrement sur les épaules et le regard de son interprète principale, recluse dans son appartement de nuit, alors que la pandémie s’est répandue sur le monde. Seule avec son chien, Coltrane, elle semble bien seule et courageuse pour réparer le malheur du monde. L’actrice qui l’incarne s’appelle Tessa Thompson et Steve Buscemi a eu du flair car elle est parfaite, à la fois dans son dévouement et sa solitude qui cachent sans doute aussi son propre malheur qu’elle ne peut divulguer. « J’ai adoré collaborer avec l’incroyable actrice Tessa Thompson, déclare le réalisateur dans sa note d’intention. J’ai admiré sa performance incroyablement nuancée et profonde. Avec un tournage de six jours seulement, nous avons dû être extrêmement efficaces, et je suis tellement reconnaissant envers l’équipe et la production qui ont apporté leur engagement et leur expertise à chaque minute. »
Chaque homme dans sa nuit…
A partir du scénario d’Alessandro Camon, Steve Buscemi est donc parvenu à rendre à la fois la misère affective et sexuelle d’un grand nombre de personnes seulement à partir de leurs voix et des silences et des rares mots de l’interlocutrice, mais aussi à donner corps et forme à la densité de la nuit dans des couleurs un peu passées et sombres qui ne vont pas sans évoquer la mélancolie des tableaux d’Edward Hopper. Grâce au magnifique travail de direction de la photographie d’Anka Malatynska et la musique originale qui a le mérite d’être présente-absente d’Aska Matsumiya, le film prend une ampleur discrète mais certaine. Ce dialogue feutré évoque aussi les émissions nocturnes où un interlocuteur reçoit les appels de personnes en détresse, un peu comme Macha Béranger en France sur France Inter, ou dans le film Play Misty for me de Clint Eastwood (1971). Mais ici pas de suspense, pas de menace, sauf que the Listener (mot assez intraduisible de façon élégante en français) se demande à chaque fois si elle réussit son contrat jusqu’au moment où, sortant de sa réserve parce que l’interlocuteur le demande et que cela semble nécessaire pour le sauver, elle se sent à son tour obligé de dévoiler sa vie et ses tourments. « Les histoires centrées sur les personnages m’ont toujours intéressé, déclare Steve Buscemi dans le dossier de presse du film. The Listener met en lumière les questions de santé mentale qui me tiennent à cœur et qui sont devenues plus présentes ces dernières années d’incertitude. » Et lorsque le jour se lève lentement, que l’interlocutrice passe la laisse au cou de son chien et qu’elle sort dans le parc, on semble mieux respirer et on se demande si, par hasard, elle ne serait pas elle aussi une sorte de super héros modeste et invisible mais qui sauve les âmes en perdition…