Dans la veine de Sans filtre
Après une série, Nach, et quatre courts-métrages, voici le premier long-métrage d’un jeune réalisateur norvégien prometteur, Ernst de Geer. Il nous livre ici un film un peu provocateur, mais bien ficelé et hardi, à la manière de son homologue suédois, Ruben Östlund, deux fois palmé à Cannes pour, respectivement, The Square en 2017 et Triangle of Sadness en 2022 mais en beaucoup moins cruel, et sans doute un peu plus potache, quoique…
Des pitchs pour investisseurs
Qu’on en juge, Télérama en en ayant déjà fait son chouchou et proclamant sur l’affiche : « Hilarant et acide », ce qui ne veut proprement rien dire et pourrait s’accorder aussi bien à un film qu’à une marque d’euphorisant ! André et Vera, jeune couple d’entrepreneurs, ont l’occasion de présenter leur application de santé féminine lors d’un prestigieux concours de pitchs devant des d’investisseurs. Avant de s’y rendre, Vera a rendez-vous pour une séance d’hypnose thérapeutique, afin d’arrêter de fumer. À partir de ce moment, rien ne va se dérouler comme prévu… Et quand on dit que c’est de santé et de bien-être féminin, on veut rester politiquement correct car, en fait, le pitch que Vera devra introduire lors de la présentation doit parler crûment de ses premières menstrues, mais effectivement rien ne se passera comme prévu.
Hypnose ou prise de conscience ?
Bien sûr, on peut se demander si c’est la séance d’hypnose pour l’empêcher de fumer qui la fera déraper ainsi, ou le constat que nous sommes maintenant tous prisonniers d’une société infantilisante, mercantile et égoïste où les jeunes doivent se soumettre à des niaiseries en public pour vendre leurs projets à des investisseurs et se mettre en scène de manière souvent peu reluisante comme dans les pires scènes de stand-up très prisées de nos jours. On peut certes se le demander tout comme on est bien aise dans le film de donner raison à Vera qui se comporte comme une vraie petite anarchiste, ou tout du moins une situationniste dans ses improvisations pas toujours de bon goût mais qui vont peut-être faire changer les choses. Il n’est d’ailleurs que de voir la manière dont son amoureux André se comporte à la fin du film, au cours du repas qu’organise la mère de Vera pour constater que les effets de l’hypnose anti-tabagisme sont contagieux, ou alors que la révolte antisociale se propage de bouche à oreille et c’est très réconfortant.
Hélas, ce n’est qu’un film
Hélas, il ne s’agit pas de la réalité mais d’un (premier) film même s’il est très prometteur, surtout qu’il est servi par deux acteurs pince-sans-rire talentueux, Asta Kamma August et Herbert Nordrum, qui apportent au film une touche de sérieux qui fait ressortir encore plus le côté absurde, pour ne pas dire kafkaïen et/ou ubuesque, de notre monde du travail contemporain, à la fois infantilisant et grotesque qui nous forcerait presque à aboyer, mais aussi à mordre (ça viendra, on l’espère…) Parlant des enjeux et des problématiques de son film, Ernst de Geer va encore plus loin en déclarant dans le dossier de presse du film : « Je ne sais pas si c’est à moi de le dire, mais si je devais le faire, je dirais qu’il y a une question d’identité au centre du film, à la fois pour André et Vera, à la fois séparément, mais aussi en tant que couple. Est-ce qu’elle n’est pas elle-même ou est-ce que c’est André qui ne la voit pas telle qu’elle est ? Le film parle d’artifice et de vérité, je suppose, dans la manière dont ils agissent et racontent une histoire juste pour vendre quelque chose. On y retrouve aussi le thème de la honte et de la gêne, et avec cela toute cette question des rôles de genre, de ce que cela signifie de faire partie d’un groupe et de qui peut se démarquer d’un groupe. »