« La vie toute tracée que l’on est tous censés vivre de la même manière […] Je ne comprends pas pourquoi c’est immuable ». Ces paroles que Dovydas confie à Elena traduisent le sentiment d’étouffement face à une existence normative et résument à elles seules le cœur de l’ambition de Slow : proposer une représentation alternative de faire corps avec le monde. Marija Kavtaradze articule cette entreprise autour de la question des relations intimes en décentrant les normes sexuelles pour mettre en lumière l’asexualité, souvent invisibilisée. Ces enjeux se manifestent à travers le récit de la relation naissante entre Elena et Dovydas, dont l’asexualité les conduit à explorer de nouvelles formes d’intimité.
Si Slow s’attache à expliquer avec pédagogie ce qu’est l’asexualité, il ne s’engage pourtant pas dans les sillons des enjeux politiques que les thématiques sur l’identité sexuelle recouvrent à notre ère. L’asexualité de Dovydas est ici plutôt vectrice de questionnements sur la dualité qui s’opère entre le corps et la pensée : comment exprimer l’attirance amoureuse autrement que par la sexualité ? Une question signifiante pour nos deux protagonistes dont les métiers — danseuse et interprète de la langue des signes — traduisent par l’expressivité du corps ce que la parole ne peut véhiculer. Cette symbolique ouvre alors une brèche de résonance à Marija Kavtaradze pour nous montrer comment le cinéma parvient à incarner ce monde invisible à travers des corps filmés, de la même manière que la danse et l’interprétariat.
Le cinéma a ainsi souvent montré les relations intimes en mettant en scène la sexualité, que ce soit par le biais de métaphores ou de représentations explicites. Mais que se passe-t-il lorsque l’un des personnages est dénué d’attirance sexuelle ? Comment alors représenter l’intimité en dehors de la norme sexuelle dominante ? C’est précisément ce que Slow interroge, en proposant notamment d’autres biais de représentation, comme une attention particulière portée à la peau à travers de nombreux plans rapprochés. Marija Kavtaradze a fait le choix judicieux de tourner à la pellicule 16mm. La texture du grain de l’analogique confère une dimension organique à la peau, laissant place aux imperfections et aux cicatrices, c’est-à-dire à l’intimité des personnages. En effet, voir d’aussi près la peau d’un personnage ouvre une voie directe à son intimité et à ses émotions. Slow privilégie ainsi une approche de l’image où chaque soubresaut et respiration comptent, invitant à imaginer un cinéma attentif — et, espérons-le, plus divers dans ses représentations.





