Sister Midnight

Article écrit par

Film underground, féministe, étrange et dérangeant. Envoûtant et envoûté.

Artiste pluridisciplinaire Indien installé à Londres et né au Koweït, Karan Kandhari est un artiste cinéaste. Au-delà de l’écriture et de la réalisation, il est un artiste multidisciplinaire qui travaille la photographie, le collage et l’illustration à l’encre. Entre 2010 et 2014, il a écrit et réalisé United Howl, une trilogie de trois courts-métrages thématiques sur des marginaux, des étrangers et des solitaires, partageant tous un sens de l’humour pince-sans-rire.

Film étrange et inclassable

Un peu dans la même veine, ce premier long-métrage a été présenté l’année dernière au festival de Cannes dans la section de la Quinzaine des réalisateurs. Film très étrange et inclassable, on peut que Sister Midnight, au titre emprunté à une chanson d’Iggy Pop, va déranger pas mal de spectateurs avec son style délirant et arty, en plans fixes souvent provocateurs, voire surréalistes, et se voulant défendeur des femmes. Le dossier de presse parle d’un « manifeste punk et féministe », et ce n’est pas faux. Qu’on en juge par le thème déjà, puis par le traitement qu’on ne dévoilera pas entièrement et il faudra donc aller sur place. Uma (en hommage à Thurman ?) débarque à Mumbai après un mariage arrangé. Dans son taudis bariolé, elle découvre la réalité de la vie conjugale avec un mari lâche et égoïste et qui ne se refuse pas quelques plaisirs, comme boire, fumer et se masturber, la routine quoi… Refusant de céder à l’enfer de son couple, Uma laisse libre cours à ses pulsions et, la nuit venue, se transforme en une figure monstrueuse et inquiétante, genre de lycanthrope qui boit le sang des animaux, de préférence sur les décharges ou aux abords des poubelles publiques, qu’elle empaille après et qui, mystérieusement, vont revivre. Ainsi de suite. Marqué par la religion hindouiste, mais pas seulement, le film marie de façon percutante le woman-lib et le cinéma expérimental, en osant briser des tabous et aller, pour une fois, encore plus loin dans la dénonciation de l’exploitation de la femme. Du coup, le Pedro Almodovar des débuts a l’air d’un premier communiant par rapport aux excès de Karan Kandhari.

 

 

 

 

Une actrice hors pair

Déjà, dans sa note d’intention, le jeune réalisateur annonçait clairement la couleur, on était prévenu : « Sister Midnight est l’histoire d’une marginale qui devient une hors-la-loi accidentelle. Une hors-la-loi et une criminelle, ce n’est pas la même chose. Les hors-la-loi sont des marginaux, des héros populaires… Une hors-la-loi défie les normes et les conventions de la société, consciemment ou non. Mon personnage est guidé par son intuition, tout comme je le suis en tant qu’artiste. » Il faut dire que, pour incarner Uma, il est tombé sur une actrice hors pair, Radhika Apte, complètement déjantée qui, par moments, a des petits airs de Nina Hagen et d’autres fois de Buster Keaton. D’ailleurs, dans ce film qui parle de sacrifice, de corps en morceaux, de guirlandes de Noël, de résurrections et tout ce qui taraude notre inconscient, le parti pris du réalisateur est de nous faire réagir, en se moquant, en provoquant, par le burlesque notamment. Entre Wes Anderson et Almodovar des années folles, Sister Midnight cultive un sens très esthétique par une mise en scène et des images due à Sverre SØrdal. Parlant de son film, et surtout de son actrice, lors d’un entretien pour le dossier de presse du film, il nous a semblé intéressant de rapporter ce qui suit : « C’est une actrice extrêmement intelligente, cérébrale même, qui aime se plonger dans le personnage, l’analyser, lui inventer un passé. Mais il m’importait davantage d’être dans le moment présent, dans l’impulsion, donc un travail beaucoup plus physique. Comme chez Keaton je voulais qu’on ressente une forme de spontanéité bien que tout soit chorégraphié, rythmé comme une musique. Après quelques jours, elle a totalement adopté cette façon de travailler. Elle était tellement engagée et heureuse d’aller dans les endroits les plus stupides. Je suis très fier de sa performance. L’humour du film découle de cette performance physique et la comédie est, selon moi, la forme de cinéma la plus difficile à atteindre, c’est la poésie de la narration, de la magie! »

 

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays : ,

Durée : 110 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…