Santiago, Italia

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Prendre du recul.

Nanni Moretti s’intéresse à un épisode qui a eu lieu en plein putsch de Pinochet, à Santiago, au Chili : l’Ambassade d’Italie transformée en terre d’asile pour quelques 250 réfugiés chiliens.
Comme il faut replacer dans son contexte n’importe quel fait historique, aussi faut-il enclaver une oeuvre dans l’étau contextuel duquel elle éclot. Celui d’une Italie défensive, qui refuse d’accueillir des migrants dans ses ports.

 

 

Faire retour sur cet évènement de Santiago, c’est faire venir un écho historique jusque dans le présent d’une éconduite migratoire si forcenée, qu’elle semble oublier le rôle joué par l’Italie dans la protection de citoyens étrangers entre ses murs.
 Mis en rapport avec l’actualité migratoire italienne, cet épisode fait saillie. Il propose un autre ratio, force le recul essentiel face au présent duquel une vision trop jouxtée empêche une prise en hauteur. 
Savoir où se placer pour mieux regarder, adopter le bon point de vue, c’est la question de tout documentaire, où la place du regard face à l’objet s’impose.
Le premier plan a justement la fonction de les mettre en rapport. Il agit comme la matrice du documentaire. Nanni Moretti, en surplomb de Santiago, regarde dos à nous la vue dégagée, pendant qu’apparait à l’écran le titre du film : Santiago, Italia, la capitale chilienne raboutée à une partie d’elle-même, l’Italie, dont les réfugiés qu’elle a sauvée ont pris la nationalité. Titre qui objectivement signifie : objet regardé dans une mise en rapport – Santiago, vu depuis l’Italie.

 

 

La distance du sujet devant la ville métaphorise l’écart entre les temporalités. On les recolle ici avec une série de témoignages au contact d’archives audiovisuelles dans lesquelles se lit la posture italienne face à un évènement extérieur à son territoire : empathie puissante incarnée dans de grands rassemblements en soutien au peuple chilien.

Le rapprochement d’évènements distanciés fait bloc d’Histoire. Nul évènement n’est à voir isolément, dans son unique morcellement, mais dans une contextualisation plus large. Il s’agit de se tenir écarter d’un présent limitrophe, de poser son regard en marge. Cette position qui était celle géographique de l’Italie, pouvant voir, de loin, une population en souffrance, relève aussi du point de vue personnel, individuel, celui de chaque citoyen face à un fait quel qu’il soit, et celui forcément marqué du documentariste à l’œuvre.

C’est ainsi qu’en plein entretien avec un ancien sbire de Pinochet, manifestement résolu à ne pas condamner les tortures et autres crimes qu’il a commis, Nanni Moretti entre dans le champ une seconde fois en affirmant « je ne suis pas impartial ». En s’y engouffrant, il pénètre aussi d’un seul coup dans le passé, confronte littéralement les discours, insère le présent qu’il est lui-même, à faire ce documentaire maintenant, dans une Histoire toujours en écriture. La fin du documentaire s’achève sur une douche froide : l’ultime mise en rapport de cet élan de soutien historique des années 70, avec une Italie individualiste se claquemurant.

Titre original : Santiago, Italia

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Durée : 80 mn


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