Rien à déclarer

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Non. Rien de rien… Ou quand les moules-frittes ne suffisent pas à relever la sauce d´une daube consensuelle. Ni mieux, ni moins bien que « Bienvenue chez les Ch’tis ».

Autant être honnête : on aurait pu céder une étoile au film si on avait eu un tant soit peu de compassion pour notre Dany national. Inutile. La profession – la télévision, surtout – s’en charge pour nous, puisqu’elle a déjà décidé, à grand renfort de statistiques écrasantes, de monter aux nues son incontestable génie comique. Le parti est pris ici de rétablir l’équilibre, d’offrir une alternative au dernier Champs Elysées. Spécial Boon, cela va de soi…

Dany Boon a clairement voulu se dépasser. Côté image : des petits commerces, des façades vintage, des paysages de boule à neige, une ambiance cosy, tendance « jolie province ». De quoi toucher en plein cœur les plus chauvins d’entre nous, mais aussi d’entre les Belges ! Car cette fois, la fable humaniste, transhume à l’est, toujours au nord, sur la frontière franco-belge, donnant ainsi une portée internationale au message de tolérance tendrement livré dans Bienvenue chez les Ch’tis. Qu’on se le dise, et au cas où on n’aurait pas encore bien saisi : nous allons l’aimer, notre prochain.

Mathias Ducatel aime tout le monde, lui. Au point de s’être épris de la sœur du pire douanier sur la terre, le vilain Benoît Poelvoorde, alias Ruben Vandevoorde, qui exècre les français. L’Histoire en marche va piétiner les certitudes de notre raciste patenté. 1993 : ouverture des frontières, John Lennon en a rêvé, l’Europe l’a fait… aux dépens du bon vieux p’tit bureau de douane local, voué à la disparition. L’heure de collaborer s’annonce dure pour nos deux héros, alors qu’ils doivent fièrement assurer la première brigade volante mixte franco-belge.

 

Poelvoorde, hystérique, s’époumone à nous crever les tympans. Boon, le brave gars, ne ferait pas de mal à une mouche. Le teigneux et le débonnaire : une recette à succès déjà bien éculée avec le tandem De Funès/Bourvil. C’est sans compter la bonne vieille 4L démontable, devant laquelle Dany Boon ne manque pas de s’exclamer : « Oh ben non… », sous-entendu : « bah maintenant elle va marcher beaucoup moins bien »*. La deuche était déjà prise mais pas le tuning… Ajoutons à cela une pointe pâlichonne d’Audiard dans quelques répliques : « La balle, elle percute, c’est pour ça qu’on l’appelle la balle. », « tu me prends profondément pour un con Vanuxem », ou encore, plus délicat, « t’as le cul qui sent le chien ». Extasions-nous sur le passage à l’ère du numérique : l’arrivée au bureau d’un bon vieil ordinateur premier cri qu’on nommera malicieusement « télévision », et autres blagounettes gentiment obsolètes, fleurant bon le bon vieux papier carbonne. En somme, beaucoup de bonnes vieilles vannes dont on aurait pu rire si elles n’avaient pas toutes été trop laborieusement essorées jusqu’à la moelle : l’orthographe du mot « ambulance », par exemple, était une belle trouvaille pour qui sait s’arrêter avant l’exagération convulsive, les coups et les blessures. Comme le dit le bon vieux proverbe : les blagues les plus courtes sont les meilleures. Un slip kangourou peut sonner une fois, voire deux, à la douane, mais pas dix.
 

C’est le problème majeur du film : la surenchère. On se lasse bien vite des simagrées pénibles et forcées de Poelvoorde, comme de la naïveté insistante et inconsistante de Dany Boon en artichaut énamouré. La lourdeur des deux cabots explose face à l’ex « Deschiens » Bruno Lochet (Tiburce), bien meilleur et parfois très inquiétant, mais malheureusement sous ou mal exploité dans des situations souvent pataudes. Le duo Karin Viard/François Damiens aussi, bien que relevé, souffre terriblement de la gaucherie de l’ensemble. Tout est affaire de dosage. De toute évidence, Dany Boon nous sous-estime beaucoup pour éprouver le besoin de diluer ses rares effets dans la médiocrité, ou pire, nous expliquer pourquoi on doit rire, non seulement après un gag, mais aussi avant, histoire qu’on en saisisse toutes les subtilités, étouffant au final toute surprise impromptue.
 
 

C’est pourtant le sel de la comédie. Pourquoi nous l’avoir ôté de la bouche ? Boon a préféré miser sur d’autres ingrédients (plus bankable ?)… Des courses poursuites en auto pour jouer à Luc Besson. Mais surtout, une love story mielleuse et encombrante qui se dénouera évidemment au pieu, afin de conférer profondeur – cul tacite – et résonance à son scénario. Ou comment tuer une comédie en cherchant à la rendre sexy et sérieuse. Pourtant la belle avait du potentiel, notamment dans les rares moments qui abordaient le calvaire existentiel d’une nana indépendante entourée de beaufs, principalement machos. La leçon de morale n’est jamais loin, et la pression sociale du politiquement correct prend invariablement le pas sur la jouissance. Chaque farce doit être nuancée. On se surveille pour ne choquer personne. On veille à doser de sorte à ratisser le plus large possible. On se demande finalement s’il s’agit de rigoler, ou tout simplement de marketing. L’imposture est évidente au moment où nos deux héros défilent radieux, au ralenti, sur le fameux tube I believe I can fly, abondamment chanté en boucle par Kad Merad, infatigable, sur tous les plateaux télé. Kad Merad ? Oui ! L’acteur chéri de Bienvenue chez les Ch’tis !

Entre autocongratulation ballonnée et reproduction aseptisée des comédies à papa, Dany Boon (qu’on a pourtant connu brillamment absurde à l’époque d’Harlequin, « champion de l’amour », et de la K4000) a trouvé son créneau : les bons vieux potes, le bon vieux temps, les bonnes vieilles recettes déjà vues, qui ne dérangent plus, ni n’enthousiasment, mais passent très bien sur TF1. Certes, et c’est bien connu, c’est dans les vieilles marmites, qu’on fait la meilleure soupe. Sauf lorsqu’elle a goût de rance. A croire que les belles heures du Splendid n’ont même jamais existé ! Réaliser des comédies inventives, modernes et délirantes, comme l’étaient en leur temps celles des sixties/seventies, sur des sujets actuels ou revitalisés, c’est trop demander aux nostalgiques frileux de la France d’antan. Le récent Dernier étage, gauche, gauche d’Angelo Cianci, malgré ses défauts, avait tenté de relever le défi en plantant son décor dans les banlieues, pour broder avec fraîcheur une variation burlesque sur le stéréotype de la racaille. Si le résultat s’avérait cheap, l’intention rendait le film au moins attachant, sinon curieux, ressuscitant très légèrement le souffle utopiste qui animait un Rabbi Jacob (puisqu’on parle de tolérance!). Ce n’est pas le cas des comédies régressives, défendues par Dany Boon et consorts, fort bien relayées par les chaînes françaises, servies sans recul, la larme à l’œil, avec double ration de bons sentiments, et où on se gargarise du simple fait de causer en « francs ». Nul idéalisme là-dedans. Une rentabilité redoutable, toutefois… « Et le ciel Papa, il est belge ou il est français ? ». Et dis-nous, Dany, c’est quoi cette bouteille de lait ?

* Le Corniaud, Gérard Oury (1965)

Titre original : Rien à déclarer

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Durée : 108 mn


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