Rêve et silence

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La soudaineté d’un décès dans une famille heureuse, sujet de cinéma rebattu, prend ici un nouveau sens par un exercice d´enregistrement du réel accomplissant lui-même une forme de deuil.

Les gestes d’un peintre ouvrent le film : travail à l’aquarelle sur des figures ancestrales, que l’artiste (Miquel Barcelo) recouvre par couches successives, faisant jaillir de nouvelles formes par superposition. Le surgissement des images est en jeu, elle semble fasciner Jaime Rosales, qui questionne le fait « d’assembler un processus extensif – celui de la peinture – avec un processus intensif – celui du cinéma ».

Le père est un architecte espagnol, vivant et travaillant à Paris avec sa famille. Ménageant un français qu’on devine approximatif, il s’exprime en anglais lorsqu’il travaille pour que jamais l’imprécision de son vocabulaire ne vienne mettre en péril l’exigence de son art. De l’architecture, métaphore consentie du travail cinématographique, Jaime Rosales illustre la complexité de la mise en œuvre, la différence qui existe entre le maître d’œuvre et le concepteur. Lors de visites sur des chantiers, on regarde les espaces encore vides de bâtiments, intérieurs balayés par un travelling patient dans lesquels, à la marge, s’agitent des constructeurs encasqués. Ces quelques scènes, au début du film, font prendre le pouls d’un langage visuel épuré, au noir et blanc magnifiant les lignes, les pleins et les vides.

Motif de cinéma aussi vieux que Méliès, la disparition est souvent prétexte au remous scénaristique sur le deuil. Ici, l’enfant perdu l’est par nécessité, celle de concrètement donner à ressentir l’absence physique dans le champ de son corps. Le père, présent au moment de l’accident qui coûta la vie à sa fille, ne se souvient pas. Ni de ce qui est arrivé sur la route, ni de l’existence de son enfant, qu’il semble avoir court-circuitée de sa mémoire. Il devient à la moitié du film ce personnage vierge de traces émotionnelles, une nouvelle coquille vide. Exploitant son absence de deuil, le cinéaste nourrit en contrepoint la spiritualité de la mère, laquelle doit passer par un retour physique sur les lieux du drame. Espace au bord de la route également dénué de traces visibles de l’accident, où la femme vient convoquer une mémoire que son mari lui refuse.

 

Le cinéaste offre quand même une réapparition fantomatique bouleversante au personnage décédé par la grâce d’un dialogue entre la mère et la caméra, apparentée à la petite fille, et que sa mère croit re-voir. Le cinéma de Jaime Rosales permet ce genre de croyances, justement les favorise. L’émotion est là, l’épiphanie des retrouvailles l’emporte sur la rationalité.

Le temps est également œuvre prégnante, sculptant l’interprétation instinctive d’acteurs qui ne possèdent en amont qu’un scénario sans dialogues. On peine parfois à le croire, tant est gracieuse leur habitation de l’espace, leur confiance dans l’aboutissement de l’émotion du personnage qu’ils incarnent.

Le Paris du Quartier Latin, entrevu par alcôves ou entre deux portes, laisse le plus souvent la place aux parcs, ou aux grands espaces de la Catalogne où la famille retourne, lieux de vie incontrôlables, où s’agitent mille silhouettes (animales ou végétales), ménageant l’imprévu désiré par le cinéaste dans le champ. Un plan-séquence déambulatoire aux Buttes Chaumont, qu’on devine d’après les nombreux regards étonnés des parisiens improvisé, aboutit, enfin, sur la retrouvaille avec ses interprètes. Cette inscription dans le réel, si elle démontre un plaisir à jouer avec les conventions de la figuration, semble aussi dire du besoin de composer avec la beauté du monde. Beauté toute simple du rayon de soleil inondant le champ lorsque la caméra arrive enfin en haut d’une butte du parc, pour achever la balade par cette reconnaissance solaire.

L’exigence du travail presque plastique du cinéaste espagnol sur la profondeur des images et leurs origines n’empêche en rien d’appréhender le sensible de ses personnages par un cheminement dans les plans, une révélation pour qui sait être patient. De silence il est question, lorsque les personnages disparaissent d’un plan, continuant une discussion hors-champ sans qu’elle ne soit audible. Silence aussi d’un enterrement où un son de plus risquerait de trop ébranler les personnages, et le spectateur. Mais le réalisateur de La Soledad (2007) et d’Un tir dans la tête (2008) travaille aussi la matière magique, presque onirique de ses images, toutes en fixité désarmante, et où peut surgir à chaque seconde la mémoire d’un personnage, le songe de sa vie d’avant.

Titre original : Sueño y silencio

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Durée : 110 mn


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